La corniche de Gabès, ” El Kazma ” , en référence au bunker construit dans la plage durant la seconde guerre mondiale, se transforme pendant la troisième édition du festival du Film de Gabès (21-25 avril 2018) en un lieu d’observation artistique porté sur notre société, son rapport avec elle-même, son rapport avec l’autre et avec l’Occident.
Face à la plage, se dresse l’exposition portant le même nom que la corniche ” El Kazma “. Une exposition où neuf artistes visuels tunisiens vivant et travaillant ici et ailleurs proposent à travers des installations vidéo de différents regards et visions sur un monde où les frontières deviennent de plus en plus floues.
Avec neuf artistes (Ismail Bahri, Amel Ben Attia, Nidhal Chamekh, Fakhri El Ghezal, Malek Gnaoui, Nicène Kossentini, Souad Mani, Amine Messadi, Haythem Zakaria), neuf conteneurs installés dans la corniche face à ” El Kazma Plage “, sont mis en scène neuf postes d’observation sur notre société, sur ses doutes, ses espérances, ses rêves et son quotidien.
Chaque conteneur transporte le spectateur vers un monde où se mélange la réalité avec les émotions personnelles de l’artiste. Dans son installation de 24mn 30s, l’artiste Malek Gnaoui propose dans son œuvre ” Dead Meat Moving ” (la viande morte en mouvement) une immersion dans le monde de l’abattoir où les moutons sont écorchés vifs vidés de leur sang par des bouchers aux gestes précis et méticuleux. La cruauté du réel interpelle le public et le renvoie à son propre destin où les faibles se trouvent écorchés par le poids du système.
Muni de son téléphone, l’artiste Fakhri El Ghezal a filmé pendant trois ans des scènes de vie prises au cours de son trajet quotidien dans les routes de Tunis. A travers ses rencontres fortuites, il capte par sa caméra tel un journal de bord, des instants, des lieux, et des silhouettes humaines. Intitulée ” Heni el Teli ” (je suis derrière), l’installation vidéo de 9mn 30s de Fakhri El Ghezal invite le public à scruter la beauté dans les détails de la vie quotidienne.
” Never Give up ” (Ne jamais désespérer) est le nom d’une maison de fortune située dans la ” jungle de Calais “, ancien camp de réfugiés situé dans la ville française Calais. La séquence vidéo de Nidhal Chamekh met en scène la maison de fortune en question en train de bruler, accompagnée par la voix de l’appel à prière de la mosquée du coin. Prise pendant la destruction du camp de Calais en 2016, la maison en feu illustre une tradition chez les réfugiés afghans qui brûlent leurs maisons de fortune chaque fois qu’ils quittent un lieu. ” A travers cette séquence, j’ai voulu aborder la question de l’exil, une question qui touche la jeunesse de la rive Sud ” a fait savoir Chamekh à l’agence TAP. Et d’ajouter “la voix de l’appel à la prière et la forêt mettent en valeur le caractère universel de la thématique et donne l’impression que la maison en feu peut être prise dans n’importe quel pays arabe ou européen “.
Mélangeant l’art contemporain aux préoccupations sociales d’une jeunesse tournée vers un Occident à la fois honni et fantasmé, les neufs conteneurs endossent pendant le festival de film de Gabès un nouveau rôle. Plus question de transporter des marchandises vers l’Occident, avec le regard à la fois poétique et réaliste des neufs artistes, les conteneurs transportent des rêves, des angoisses et des interrogations.