Un grand nombre de politiciens, militants des droits de l’homme, des universitaires, des journalistes, des citoyens et citoyennes, des représentants d’organisations, partis et députés de l’ARP ont manifesté samedi à Tunis pour revendiquer le droit à l’égalité dans l’héritage.
La marche, organisée par la coalition tunisienne pour l’égalité de l’héritage a avec pour slogan “l’égalité dans l’héritage un droit non une faveur”, s’est ébranlée de Bab Saadoun vers la place du Bardo devant l’Assemblée des Représentants du Peuple.
Les manifestants ont réclamé dans des déclarations à l’agence TAP la promulgation d’une loi sur légalité de l’héritage, conformément aux dispositions de la constitution de 2014 qui a reconnu l’égalité totale entre les deux sexes.
Pour Fatma Jegham, membre de la coalition, “la principale revendication de cette marche nationale est l’introduction dans la constitution de l’égalité dans l’héritage entre les sexe après des années de lutte pour que la femme tunisienne obtienne tous ses droits”.
Elle a estimé que “la forte mobilisation des manifestants de tout bord de la société civile est une preuve éclatante du besoin d’une loi instituant l’égalité effective entre la femme et l’homme”.
Le président de l’observatoire tunisien des droits économiques et sociaux Massaoud Romdhani a souligné que cette revendication à l’égalité “est légitime et doit être traduite dans les faits par respect de la constitution du pays qui doit spécifier clairement l’égalité totale entre les citoyens et les citoyennes, en raison des engagements internationaux de la Tunisie de mettre fin à la discrimination envers la femme et en harmonie avec l’histoire emblématique du pays dans l’octroi des droits à la femme”.
Romdhani a rappelé “les difficultés auxquelles fait toujours face la femme rurale en particulier, l’amplification du chômage des femmes, de la discrimination sexuelle dans l’administration et dans la désignation des responsables”, estimant que “l’égalité dans l’héritage est une priorité, une des formes de l’égalité réelle entre la femme et l’homme et une question de citoyenneté”.
Pour sa part, la députée Leila Hamrouni (Machrou Tounes) a déclaré que ce mouvement est “une mobilisation pour concrétiser les droits de la femme, notamment dans les couches démunies incapables de recouvrer la moitié de leurs droits en raison de traditions qui accordent l’héritage en totalité à l’homme”.
“Le rôle essentiel de l’élite de la société est de s’opposer à ces pratiques et de défendre la femme ouvrière où qu’elle se trouve en instaurant les bases de préservation de la dignité et de l’humanité”, a-t-elle souligné.
Elle a relevé que “l’objectif de cette initiative et des autres actions qui suivront est de préparer l’opinion publique, notamment les femmes, à défendre le projet de loi sur l’héritage lorsqu’il sera soumis à l’ARP”, soulignant que “les militants et militantes en Tunisie ont attendu longtemps cette mobilisation et il est temps de traduire dans les faits cette revendication”.
De son côté, Hamma Hammami, porte-parole du Front Populaire, a réaffirmé la nécessité “de concrétiser cette égalité totale entre hommes et femmes dans tous les domaines, y compris l’héritage”.
“C’est une honte pour les hommes avant les femmes que la discrimination sexuelle persiste en Tunisie”, a-t-il ajouté.
“Ce n’est guère étonnant que les opposants à cette revendication font valoir des arguments religieux, ils s’étaient déjà opposés à l’interdiction de la polygamie, à l’adoption d’enfants et avancent les mêmes arguments lorsque l’égalité est évoquée pour freiner l’évolution de la société”, a-t-il estimé.
Le président honoraire de la Ligue des Droits de l’Homme Mokhtar et l’universitaire Habib Kazdodhli ont également soutenu les revendications des femmes à l’égalité, soulignant qu’il est temps de traduire dans les faits les dispositions de la constitution appelant à l’égalité entre les deux sexes et appelant à multiplier les manifestations dans tous le pays pour assurer le caractère civil de la société.
Un petit groupe de personnes étaient présents au Bardo pour exprimer leur rejet de l’égalité de l’héritage. Une des femmes présentes a déclaré à l’agence TAP qu’elle “rejette l’égalité de l’héritage car c’est une atteinte au Coran sacré et à la religion musulmane”.
“C’est une affaire inutile et je ne me reconnait pas dans ceux qui parlent au nom de la femme tunisienne et disent défendre ses droits”, a-t-elle affirmé.
Le président de la République Béji Caïd Essebsi avait affirmé au mois d’août dernier qu’il est aujourd’hui “possible et préconisé d’amender progressivement” la loi relative à l’héritage jusqu’à réaliser l’égalité parfaite entre l’homme et la femme, rappelle-t-on.
Il s’est dit confiant que les juristes tunisiens poursuivront l’élan réformateur et sauront trouver les formules adéquates qui ne s’opposent pas aux préceptes religieux ni aux principes constitutionnels, pour permettre l’instauration de l’égalité successorale.
“Il est désormais nécessaire de réformer le Code du Statut Personnel dans plusieurs de ses volets pour consacrer l’égalité entre les citoyennes et les citoyens conformément aux enseignements de l’Islam et à l’article 21 de la nouvelle Constitution tunisienne”, a-t-il plaidé.
Le président de la République a dans ce sens fait remarquer que de plus en plus de familles tunisiennes adoptent l’égalité dans l’héritage en optant pour la donation du vivant des parents. “”Il faut se féliciter de cette nouvelle orientation et l’encourager en vertu de la doctrine appelant à l’effort de réflexion (al-Ijtihad)”, a-t-il recommandé.
Il a par ailleurs appelé à la révision de la circulaire 73 qui concerne le mariage des Tunisiennes avec des non-musulmans; une législation qui constitue, a-t-il dit, “une entrave à la liberté de choisir son conjoint”. Il a dans ce sens évoqué l’article 6 de la Constitution qui garantit la liberté de croyance, de conscience et d’exercice des cultes et fait porter à l’Etat la responsabilité de les protéger.
Le chef de l’Etat a en outre annoncé la création d’une commission des libertés individuelles et de l’égalité au sein de la présidence de la République. Elle sera chargée d’élaborer un rapport sur les réformes relatives à cette question.
Celle-ci a annoncé le report de son rapport final au mois de juin prochain après le déroulement des élections municipales.