“Seule entre quatre murs, mes jours s’écoulent lentement, désespérément, avec une douleur vive qui ne lâche pas, la vie est sans saveur après l’assassinat de mes fils, je meurs à chaque souffle et à chaque seconde après leur perte “. Zaara se replie, offrant avec son regard et son visage couvert de rides, un tableau où se mêle chagrin et résignation.
Zaraa Ghorbali est la mère des deux jeunes assassinés sauvagement, par des groupes terroristes sur les hauteurs de Mghilla (délégation de Jelma) relevant du gouvernorat de Sidi Bouzi. Son premier fils Mabrouk a été assassiné le 14 novembre 2015 et le second Khalifa a été abattu tout aussi sauvagement le 3 juin 2017.
Au fil de son discours, Zaraa se rappelle son enfance, marquée au début, par la perte de son père, s’arrête à sa jeunesse quant elle a perdu son premier puis son second mari. La tragédie se poursuit avec la perte de ses deux fils. Ses larmes trouvent dans ses rides, un chemin pour couvrir les joues tatouées, selon la tradition rurale tunisienne.
Zaraa est née dans la région de Selta (délégation de Jelma) en 1955, et a passé toute sa vie dans les environs des hauteurs de Mghila. Elle s’est installée à Douar Slatnia, non loin de la montagne. Elle affirme avoir été séduite pas la sérénité qui y règne. Elle ne s’est jamais doutée que cette montagne pourrait lui prendre, un jour ses fils.
Orpheline, ayant perdu son père depuis son jeune âge, elle a été mariée très jeune, à un âge où elle commençait à peine à comprendre le sens de la vie. “Khalti Zaara” s’est enfuie après seulement 3 jours de son premier mariage pour se refugier chez sa famille. Elle a été remariée et a eu une fille, qui lui a été retirée ainsi que ses biens à la mort de son second mari. Elle est retournée vivre chez sa famille. Le destin a voulu qu’elle se remarie pour la troisième fois avec le père de ses deux enfants assassinés Rabeh Soltani. Mais ce dernier s’est suicidé avec son fusil de chasse lui laissant trois enfants à charge.
Cet événement tragique est resté gravé dans sa mémoire, raconte-t-elle. Ce jour là je me suis réveillée comme d’habitude très tôt et j’ai préparé le déjeuner de mes enfants et de mon mari qui a l’habitude de sortir à l’aube pour la chasse ”
C’est pendant la matinée, au lever du jour que la femme s’est aperçue du cadavre de son mari gisant près de la cour de la maison “Suite à son transfert à l’hôpital, le rapport légal a conclu à un suicide” a-t-elle ajouté.
Veuve Zaara” a poursuivi sa vie peinant pour subvenir aux besoins de ses trois enfants ayant comme seule source de revenu l’allocation accordée aux familles nécessiteuses. La vie était pour elle et pour ses enfants de bas âge synonyme de misère et d’infortune : sans logement décent pour préserver leur dignité, ni vêtements pour cacher la misère ou nourriture pour faire taire la faim.
La vie a changé, quand les enfants ont grandi et commencé à travailler, avoue Zaara”. L’anxiété a cédé la place à la tranquillité et la quiétude dans le cœur de la mère, quand les enfants sont devenus capables de travailler dans les villes lointaines, de l’aider dans le pâturage ou de s’approvisionner au souk du village.
Cependant, la joie et la quiétude de ” Zaara” étaient de courte durée car une main traitresse est venue lui arracher ses enfants d’une manière cruelle et monstrueuse. Avec ses regards noyés dans la tristesse, mainte fois, “Khalti Zaara” aurait souhaité être partie avant d’être témoin de l’assassinat sauvage de ses deux enfants.
“Khalti Zaara” a tenu à raconter toutes les histoires qu’elle a entendues de la famille et des voisins.
Ma seule demande est de rendre justice à mes fils, particulièrement mon deuxième enfant Khalifa, qui a été sciemment entrainé au piège pour trouver une horrible mort.
Zaara évoque beaucoup de détails sur ses fils et la tragédie qu’elle a vécue qui s’est accrue après la mort de son deuxième fils. Elle s’interroge sur les raisons qui ont fait de ses deux fils des cibles alors que la plupart des habitants des zones adjacentes, guident leurs cheptels, dans cette montagne tous les jours, et sans avoir peur.
Ses doutes à propos du ciblage de ses fils s’accroient au fil des jours. Je reste sans sommeil pendant plusieurs jours à réfléchir à la torture subie par mes fils, avant qu’ils ne soient tués, dit-elle, tourmentée par la tristesse et la peur.
Zaara, seule à la maison, a besoin de marcher, de se déplacer et de travailler comme elle en avait l’habitude durant toute sa vie. Le besoin de rencontrer et de parler aux gens. Mais dés que je quitte la maison tous les yeux sont braqués sur moi et j’entends leurs chuchotements ” c’est la mère de deux martyrs “.
Zaara habite à contrecœur dans une maison fournie par l’Etat qui lui a promis de la faire bénéficier d’un logement, une promesse non tenue sous prétexte de manque de logements.
Elle portait, toujours son habit traditionnel ” la malya ” et laissait tomber ses mèches grises sur son front, avec des tatouages sur ses joues ridées.
L’un des fils de son mari qui s’est suicidé, a déclaré qu’il considère Zaara comme sa propre mère et celle de ses enfants, une combattante qui a élevé ses enfants dans des conditions sociales difficiles mais elle a fait preuve de force et de patience.
La mort de ses 2 frères est une grande perte, a-t-il dit, surtout la mort de Khalifa Soltani qui ne laisse, selon lui, aucun doute que la famille est ciblée par les terroristes ce qui a obligé sa famille de quitter leur village et de s’installer en ville dans des conditions difficiles.
Il a dénoncé le manquement des autorités régionales à leur responsabilité à l’égard de la mère des deux martyrs, appelant les autorités locales à lui permettre de bénéficier d’une carte de soins gratuite pour se faire soigner après que son état de santé fut grandement détérioré après l’assassinat de ses deux fils.