La Tunisie commémore ces jours-ci les émeutes du pain survenues entre fin décembre 1983 et début janvier 1984. De sanglants évènements ont eu lieu dans la plupart des régions en réaction à l’augmentation des produits céréales et leurs dérivés.
Une séance d’audition consacrée aux victimes de ces événements est ouverte ce jeudi au siège de l’Instance Vérité et Dignité.
Récemment, la Ligue tunisienne pour les droits de l’homme a remis à l’IVD le rapport de la commission d’enquête créée le 17 février 1984, sur ces évènements.
Selon ce rapport, les affrontements entre manifestants et forces de l’ordre ont fait 92 morts ; 29 à Tunis, 11 à Sfax, 10 au Kef, 6 à Metlaoui, 6 à Gabès, 6 à Kasserine, 5 à Medenine, 4 à Monastir, 3 à Jendouba, 2 à Tozeur, 2 à Kebili, 2 à Gafsa, 2 à Kairouan 1 à Ksibet El Madyouni, 1 à Tabarka, 1 à Béja et 1 à Sidi Bouzid.
Le début des manifestations a eu lieu dans le sud du pays où la semoule constitue une composante alimentaire essentielle de base. Très vite, le centre du pays puis la capitale s’embrasèrent parallèlement à l’annonce officielle d’augmentation du prix du pain.
La commission constate qu’il s’agit d’un véritable séisme qui a ébranlé l’ensemble du fragile édifice de la société tunisienne dans ses fondements même et à tous les niveaux
” La question de l’augmentation du prix du pain et des dérivés des céréales n’a été en réalité que le détonateur qui a suscité l’explosion populaire que le pays a vécue “.
Dans son analyse du déroulement des évènements la commission d’enquête évoque deux périodes ; les manifestations qui ont éclaté le 29 décembre et se sont poursuivis jusqu’au 1er janvier, s’étaient déroulées relativement de façon pacifique. Et malgré le nombre de morts et des blessés enregistrés, les forces de l’ordre avaient essayé d’éviter le recours aux tirs nourris.
Les importantes vagues d’arrestation qui ont suivi les manifestations, le silence des organes d’information sur cette révolte puis leur attitude de dénigrement et d’omission de certaines vérités afin de faire passer les manifestants pour des vulgaires délinquants ou pillards et le refus du gouvernement de reconnaitre le caractère politique de la crise ont préparé le terrain à l’escalade meurtrière durant la deuxième période.
” Le comportement des forces de l’ordre durant les journées des 2 et 5 janvier a été contradictoire et troublant “. Il différait d’un quartier à un autre, constate la commission dans son rapport.
” Dans certains quartiers, l’absence des agents de l’ordre sur les lieux des trouble a été patent. Les citoyens se sont ainsi retrouvés sans aucun moyen de défense de leurs personnes et de leurs biens. Une telle situation n’a pu qu’encourager les pillards et les incendiaires à commettre leurs méfaits sans craindre ne fut-ce que des mesures dissuasives “.
Dans son premier communiqué du 4 janvier, la commission a dénoncé l’absence des forces de l’ordre dans certains lieux ” chauds “, exposant biens et citoyens à de graves dangers.
Selon la commission, plusieurs facteurs sont à l’origine de ces carences. Le transfert de plusieurs centaines d’agents de l’ordre à Ksar Helal à l’occasion du déplacement du chef de l’Etat pour l’inauguration des festivités commémoratives du 50e anniversaire du parti destourien.
Le manque des moyens logistiques dont disposaient les forces de l’ordre face à l’ampleur inégalée des manifestations à partir du 3 janvier, englobant la majorité des quartiers de la capitale ainsi que la majeure partie des villes et régions de la République.
Pour la commission ” il s’agissait donc d’une crise du système politique avant d’être une crise des dispositifs de sécurité “.
Sur les modalités d’intervention des forces de d’ordre, la commission relève que celles-ci ” n’ont pas manqué d’utiliser des grenades lacrymogènes pour disperser les manifestants “, ajoutant que le recours aux armes à feu n’a pas été précédé des sommations d’usage “.
Et de conclure ” les forces de l’ordre ont souvent tiré sur les manifestants sans sommation, les blessant au niveau de la poitrine ou du ventre “.
De plus, la police n’a pas reçu de directives claires lui recommandant d’éviter de blesser partiellement ou mortellement les manifestants.
La commission d’enquête de la LTDH avait regroupait médecins, journalistes juristes, ingénieurs et syndicalistes.