Cheikh Hitler d’ Ahmed Kochbati, une comédie noire autour de la dualité de la vie

Sur la scène atypique du théâtre l’Etoile du Nord se dresse la silhouette du vieux Ali luttant contre ses hallucinations, seuls remèdes contre la fuite du temps et le poids de la maladie. Devant un parterre de jeunes collégiens venus découvrir la magie du 4ème art, le vieux Ali, surnommé Hitler, se remémore avec sa béquille médicale à la main son passé glorieux à l’aide de son ami le vieux Mokhtar qui vient dans ses songes lui donner l’espoir et l’encourager à surmonter ses doutes et ses faiblesses.

Entre rire, surprise et interaction, le jeune public a été transporté, par le biais de la comédie noire, dans le monde des adultes. Avec un jeu d’acteur plein de justesse et de profondeur, la dualité de la vie se met en scène. La Mort, la maladie, la corruption, des sujets à la fois existentiels et sociopolitiques animant la société tunisienne d’aujourd’hui se traduisent sur la scène de l’ancien hangar.

Le public est ainsi interpellé avec humour et cocasserie sur des questions profondes relatives à la vieillesse et la perte de la faculté physique et mentale ou la relation entre pouvoir et peuple.

Portée par un acteur professionnel (Souhaib Hakkari) et deux acteurs amateurs (Refki Mazghouni et Mohamed Kastalli), la pièce “Cheikh Hitler” a fait voyager le spectateur dans le monde onirique du vieux septuagénaire ” Ali”, rôle composé, magistralement interprété par le jeune Refki Mazghouni (22 ans). Entre rêve et réalité, le vieux Ali fait appel à son passé glorieux à travers le vieux Mokhtar qui vient ressusciter ses victoires de chasse et ses batailles en compagnie de l’armée française en Indochine. Reprendre son ancienne vie faite de force et de domination, une vie rêvée vite rattrapée par la dureté de la réalité et le poids fatal de la vieillesse. En effet, son jeune serviteur Chabane (Mohamed Kastalli) avec sa blouse blanche et une couche d’adulte à la main vient lui rappeler sa faiblesse et sa fragilité.

A propos de la pièce, le metteur en scène et dramaturge Ahmed Kochbati a révélé à l’agence TAP qu’il a écrit la pièce en 2012 au moment de l’écriture de la nouvelle constitution tunisienne au sein de l’Assemblée Nationale Constituante du Peuple. Et d’ajouter “Chikh Hitler est un jeu que j’ai joué moi Ahmed Kochbati dans ma vie, celui d’un vieux retraité nostalgique à son passé”.

Toutefois, le dramaturge invite son public à interpréter d’une manière libre les sens multiples du texte. Selon Kochbati, certains peuvent voire dans la dualité entre Cheikh Hitler et son ami Cheikh Mokhtar l’incarnation des deux Cheikhs ennemis -amis politiques Béji Caid Essebssi et Rached Ghannouchi. D’autres peuvent déceler dans le personnage de Chabane, le jeune diplômé chômeur serviteur du Cheikh Hitler le peuple dans son mutisme et sa soumission.
“Ce n’est pas important de trouver le message voulu par le metteur en scène” affirme Kochbati “Le vrai théâtre, c’est celui qui suscite l’imaginaire du public car la réussite d’une pièce réside dans ses multiples interprétations.”