” Lorsque j’ai entendu parler du programme premier logement, pensant que c’est un cadeau de l’Etat à ses citoyens, j’ai été très heureuse, jusqu’au moment où j’ai pris connaissance des modes de financement, là j’ai été déçue…en me disant “je préfère le calvaire de la location à l’endettement à vie pour moi et mon mari “. C’est avec ces mots que Néjiba, professeur de l’enseignement secondaire, a commencé à parler de ce programme.
Et de poursuivre : ” le fait d’obtenir deux crédits en même temps ne peut pas être une solution. Il faut chercher une formule qui permettra aux banques d’adhérer à ce programme en assurant un financement à 100% des logements”. Pour Néjiba, le remboursement doit être sous forme d’un seul crédit qui prend en considération le pouvoir d’achat du citoyen au lieu de le surcharger en le forçant à rembourser deux crédits en même temps.
Le programme Premier logement qui a été lancé par le gouvernement, le 02 février 2016 au profit de la classe moyenne, a suscité plusieurs critiques de la part des citoyens qui désirent acquérir un logement devant leur permettre d’échapper à la hausse vertigineuse des prix des loyers et de préserver leur droit à une vie décente.
Ce programme ciblant les familles ayant des revenus situés entre 4,5 fois et 10 fois le SMIG est destiné à faciliter à ces dernières l’acquisition d’un logement dans la limite de 200 mille dinars.
S’exprimant avec colère et regret, Néjiba s’interroge ” comment une famille ayant un revenu égal à 10 fois le SMIG peut-elle acheter un logement d’une valeur de 200 mille dinars et rembourser pas moins de 300 mille dinars, y compris les intérêts.
Pour Néjiba, ce programme exploite le besoin du citoyen qui désire acquérir un logement et sa crainte des complexités du marché foncier. Ils lui vendent des clapiers aux prix de logements luxueux, a-t-elle encore fait savoir.
Selon le président de la chambre syndicale des promoteurs immobiliers de Tunisie Fehmi Chaâbane, environ 1012 logements répartis sur 15 régions, sont mis à la disposition du programme à des prix oscillant entre 110 mille dinars et 200 mille dinars.
Ces logements ( S+2) sont cédés aux bénéficiaires après la signature d’un document de réservation (entre le promoteur immobilier et le client), dans un délai ne dépassant pas 45 jours.
Rim Louati, salariée dans une entreprise privée, a affirmé que cette mesure a été prise au profit des banques qui ont financé les projets des promoteurs immobiliers, lesquels (promoteurs) souffrent de la stagnation des ventes à cause de la hausse des prix des logements.
Ces promoteurs immobiliers proposent des logements exigus qui ne répondent pas aux plus simples conditions d’un logement décent (aération, exiguïté des chambres….. ), a-t-elle souligné. Et d’ajouter que ces logements sont acquis par le citoyen moyennant un crédit accordé à des taux d’intérêt élevés (le double du montant du crédit). De cette manière, le rêve du citoyen d’acquérir une maison, est simplement anéanti, estime Rim.
De son côté, Abderraouf Bali (journaliste) a indiqué qu’il est nécessaire de laisser la liberté au citoyen de choisir le promoteur immobilier et de ne pas fixer une liste de promoteurs immobiliers. L’objectif recherché ne doit pas se limiter à la relance du secteur, mais également à la résolution des problèmes de la classe moyenne.
Pour sa part, Samar Ben Rejeb, cadre dans une société d’assurance, a souligné qu’en apparence, ce crédit vise à aider la famille tunisienne, mais en vérité, il l’accablera de dettes sur le long terme, en plus des intérêts qui seront sûrement élevés.
Par ailleurs, a-t-elle ajouté, les prix des biens immobiliers proposés dans le cadre de ce programme sont excessifs et ne peuvent constituer une alternative pour la classe moyenne.
Dans le même cadre, Mohamed, ingénieur informatique dans une société privée, a suggéré à l’Etat de lui permetre d’acquérir un terrain au dinar symbolique, afin qu’il puisse bâtir, tout seul, sa maison.
Quant à Rawya Ben Amor, professeur d’animation culturelle, elle a affirmé que l’Etat a toujours œuvré à apporter un appui aux corporations en difficultés, telles que le cas des hommes d’affaires (baisse des impôts) ou des professionnels du tourisme (dédommagements) et voici qu’il cherche aujourd’hui à soutenir les promoteurs immobiliers, à travers le lancement de ce projet, en le présentant comme une action vouée à aider la classe moyenne.
Exprimant le même avis, Manel Torchani, propriétaire d’une boutique de prêt-à-porter, a estimé que ce programme est une malédiction pour toute personne qui veut y adhérer, car le logement qui sera acquis dans ce cadre coûtera le double d’un logement normal.
C’est plutôt la lampe d’Aladin pour les promoteurs immobiliers, a-t-elle estimé. Et d’appeler le gouvernement à réviser sa politique concernant ce projet.
” Le gouvernement ne doit se contenter du rôle de spectateur “, a-t-elle relevé, ajoutant qu’il (gouvernement) aurait du réviser les prix des logements en fixant la marge bénéficiaire des promoteurs.
Assurer l’autofinancement à travers un crédit qui ne répond pas aux normes internationales
L’expert en risques financiers Mourad Hattab, a affirmé que la couverture de l’autofinancement (20% du montant du logement) sous forme de crédit, est en contradiction avec les normes internationales. Pour Hattab, ce modèle de financement ” est erroné “.
Et d’ajouter, que les risques financiers ne peuvent être supportés uniquement par les banques mais une partie même minime doit être prise en charge par le demandeur de crédit, a-t-il indiqué.
C’est pour cette raison que l’autofinancement ne doit pas être assuré à travers un crédit, a-t-il encore expliqué.
S’agissant des objectifs recherchés à travers ce programme, il a souligné que le citoyen ” est la dernière personne à laquelle on a pensé en mettant en place ce programme “.
Consacrer 200 millions de dinars seulement pour le secteur immobilier, sur un total de 30 mille milliards (budget de l’Etat), est une preuve que le logement ne constitue pas une priorité pour le gouvernement, d’autant plus que le programme ne peut cibler que 9000 familles, alors que 20% des Tunisiens n’ont pas les moyens d’acquérir un bien immobilier, 50% n’ont aucune chance d’en avoir un et 37% possèdent déjà leurs propres logements.
L’expert s’est dit surpris par l’exclusion par le gouvernement des sociétés nationales (Société Nationale Immobilière de Tunisie, l’Agence Foncière d’Habitation et la Société de Promotion des logements Sociaux) qui assurent la régulation du marché de l’immobilier.
Ce programme, a-t-il ajouté, servira les intérêts des promoteurs immobiliers, d’autant plus qu’un nombre important d’entre eux fait face à l’accumulation des dettes qui pourront être remboursées grâce à ce projet.
Au sujet de la catégorie ciblée, il a rappelé que ce programme est destiné aux familles aux revenus moyens oscillant entre 4,5 et 10 fois le SMIG (entre 1600 et 40 mille dinars), tandis que le revenu moyen de la majorité des familles tunisiennes est de 1100 dinars.
Ce programme vise donc essentiellement la classe moyenne supérieure et non la classe moyenne, n’a pas un caractère social et le gouvernement ne dispose pas d’une approche du secteur de l’habitat, vu que le niveau de la mensualité à payer est élevé, assure Hattab.
Il a ainsi critiqué l’intervention du gouvernement dans les mesures relatives à l’acquisition des logements et les offres présentées, estimant que “cela constitue une immiscion dans les affaires personnelles du citoyen”.
Le décret du programme est contradictoire par rapport à l’article 61 de la loi de finances 2017
Le décret gouvernemental relatif à la fixation des conditions à remplir pour bénéficier de ce programme, a soulevé un tollé parmi plusieurs députés qui ont appelé à son annulation car il est en contradiction avec l’article 61 de la loi de finances 2017, laquelle a laissé le choix au bénéficiaire d’acquérir un logement auprès d’un promoteur immobilier ou de privé ou encore un logement en cours de construction.
Pour rappel, l’article 61 relatif à la création d’une ligne de financement pour consolider le secteur de l’habitat dans le cadre du programme du premier logement et paru dans la loi de finances pour l’exercice 2017, stipule qu’il est du ressort de l’Etat de créer une ligne de financement d’un montant de 200 millions de dinars au profit des catégories à revenu moyen en vertu duquel un prêt aux conditions favorables, est octroyé au bénéficiaire appelé à fournir un autofinancement exigé pour l’acquisition du premier logement.
Les procédures du programme et les critères exigés pour bénéficier du financement à partir de la ligne évoquée ainsi que les conditions de son octroi, devront être définis dans un décret gouvernemental.
A ce titre, le ministère de l’équipement, de l’habitat et de l’aménagement du territoire, a souligné qu’un décret gouvernemental sera consacré aux logements réalisés par les promoteurs immobiliers (décret n°161 pour l’année 20107), alors que les logements objets d’auto construction se verront réserver un décret qui sera présenté au prochain conseil ministériel, car le financement des logements individuels nécessite des mesures juridiques différentes de la première intervention, selon la nature du logement, son site, les procédés de sa réalisation et le contrôle de l’avancement des travaux y afférent.
Concernant le nombre réduit de régions (15) auxquels le programme s’adresse, le président de la Chambre syndicale des promoteurs immobiliers, a indiqué que la Chambre effectue actuellement des visites sur terrain s’agissant du reste des régions, afin d’examiner avec les autorités régionales les besoins de la région en logements.
Et de souligner que les services concernés sont appelés à fournir les terrains nécessaires afin que les promoteurs immobiliers puissent entamer les travaux de construction.