Mehdi Jomaa: Bonjour Si Tawfik. Je ne vous connais pas, mais j’ai lu votre CV, et je souhaite vous interviewer pour rejoindre notre équipe. Je ne vais pas vous mentir, la situation est difficile: l’argent manque à la caisse, il y a des tentatives de disloquer l’administration, le mérite et la compétence deviennent des denrées rares, la connivence et le népotisme prennent le dessus sur tout. On a un an pour sauver la situation.
Tawfik Jelassi: Mais je ne suis pas un politicien.
Mehdi Jomaa: Justement, nous faisons ça pour le pays, pas pour la politique, c’est notre service militaire. De plus vous allez perdre en salaire, votre famille ne vous verra presque plus et nous serons attaqués de toutes parts. Cependant nous travaillerons dur et jusqu’à la dernière minute. Les choses se compliqueront mais vous ne serez pas autorisé à démissionner et quitter le navire. Il faudra aussi se préparer à ne récolter que de l’ingratitude. Mais je vous garantis aussi que nous allons réussir: nous reconstruirons la confiance.
Tawfik Jelassi: Je suis à l’aéroport, en voyage avec ma famille. Je viendrai ensuite vous rencontrer à Tunis.
Mehdi Jomaa: C’est noté. Entre-temps, je vous demande aussi de réfléchir à des profils de Tunisiens compétents et patriotes et de m’en envoyer leurs CVs. Mais je vous préviens, je ne veux pas des personnes qui ont un lien de parenté avec vous. Il faut faire les choses autrement.
Tawfik Jelassi: Je ne me serais jamais permis de pousser des candidatures de connivence, et honnêtement je ne suis pas sûr d’accepter cette offre moi-même.
Mehdi Jomaa: La responsabilité est sur nos épaules. Peu de gens parient sur le redressement sécuritaire, et encore moins sur la réussite des élections. Des mosquées sont sous pavillon salafiste, le drapeau national est attaqué et pendant ce temps les politiques regardent ailleurs. Il va falloir dissoudre les ligues violentes. On est les seuls à pouvoir agir aujourd’hui, c’est un devoir. Je vois dans votre CV que vous avez fait l’école de la république. Comme moi. Je suis aussi fils de fonctionnaire, et je ne peux me résoudre à laisser l’Etat reculer. Il est temps de rendre à la République ce qu’elle nous a donné, et même davantage. Je pense à vous pour l’enseignement supérieur et la recherche scientifique et des TIC, réfléchissez-y. Je dois vous laisser, on se voit donc très vite.
Tawfik Jelassi: Très bien Si Mehdi. »
C’était la première conversation que Tawfik Jelassi a eu avec Mehdi Jomaa fin Décembre 2013. L’ancien doyen des Ponts et Chaussées était à l’aéroport de CDG Paris, et recevait par téléphone la proposition du nouveau président du gouvernement depuis Tunis. Il deviendra son ministre de l’enseignement supérieur, de la recherche scientifique et des TIC. L’équipe qui ne se connaissait pas au départ, restera soudée pendant et après l’exercice du pouvoir. Le processus du dialogue national représenté par Le « quartet », duquel le gouvernement de compétences à émergé, recevra le Prix Nobel pour l’année 2015. Les politiques, ont, depuis, repris les choses en main.
C’est le sujet du Tedx de Tawfik Jelassi à Genève, un témoignage poignant d’une expérience humaine, à méditer.