La séparation entre les dimensions politique et de prédication du mouvement islamiste Ennahdha, principal enjeu du xème congrès du parti (20-22 mai) est un choix voulu et assumé par la direction du mouvement, mais reste en attente d’une confirmation des militants. Pour les rassurer et convaincre son électorat, les dirigeants d’Ennahdha ont multiplié ces derniers temps les sorties médiatiques pour souligner un changement dans la continuité.
«Le mouvement Ennahdha est en train de se transformer en un parti dédié à l’action politique et la réforme à partir de l’Etat. Il laisse tous les autres domaines à la société civile et aux associations indépendantes des partis, y compris d’Ennahdha », jure Rached Ghannouchi, président du mouvement.
« Ennahdha est un parti politique, démocratique et civil qui a un référentiel de valeurs musulmanes et modernes » a-t- il souligné dans un entretien au « Monde » daté du vendredi 20 mai.
Selon le président du Conseil de la Choura, Féthi Ayadi, la dissociation à venir entre les deux dimensions du parti n’est ni un reniement du référentiel islamique du mouvement, ni un virage laïque. Pourtant, selon des observateurs, cette nouvelle orientation ne fait pas l’unanimité au sein du mouvement. Pour Mokhhar Khalfaoui, un islamisant, une « guerre Silencieuse » oppose à ce sujet des partisans de Ghannouchi à une ancienne garde qui se méfie du changement.
Avec ce changement de cap, Ennahdha fait le choix de sa pérennisation en s’ouvrant sur les autres forces politiques, soulignent des observateurs. Un choix dicté, également, par une lecture de la situation nationale et dans la région, peu favorable aux mouvements politico-religieux.
Jugeant que l’islam politique a été « défiguré » par l’extrémisme d’Al-Qaida et de l’autoproclamé Etat islamique (Daech), Ghannouchi considère, dans son entretien au « Monde », que ce courant n’a plus de « justification » en Tunisie après la révolution de 2011 et la mise en place de la Constitution de 2014.
La prédication religieuse, une dimension constitutive d’Ennahdha
L’action de prédication était l’apanage d’un « bureau de la prédication » au sein du mouvement, révèle Ajmi Lourimi, un dirigeant d’Ennahdha.
La mission de cet organe consistait à former des prédicateurs, à occuper des mosquées, organiser des leçons, des conférences et des prêches et à célébrer les fêtes religieuses et les cultes, a- t-il explique.
Une mission qui sera désormais dévolue à des instances nouvelles issues du « processus de spécialisation en politique », un jargon du parti signifiant l’abandon de la prédication. Ces instances travailleront à reprendre du terrain aux groupes extrémistes qui ne reconnaissent pas l’Etat, a-t-il souligné.
Selon le dirigeant, l’action de prédication vise A « revivifier » la religiosité tunisienne, fondée sur la modération, la tolérance et le juste-milieu, mais aussi le respect des traditions tunisiennes, des oulémas, du Coran, des cultes et des enseignements islamiques.
Les partisans du mouvement pourront s’adonner à des actions de prédication, mais à l’extérieur du parti, dans la société civile, a-t-il ajouté.
Ennahdha ne se transformera pas en un parti séculier, a-t-il prévenu, mais demeurera « un grand parti national avec un référentiel islamique ». Cette orientation fera l’objet d’un document « stratégique » sur la direction du projet et la nature du parti, a-t-il indiqué.
Et d’ajouter que le congrès essaiera de trouver la bonne formule entre la mission politique et la mission de prédication du parti. Une formule « qui ne sera ni une fusion fonctionnelle, ni une séparation radicale des deux dimensions », a-t-il dit.
Il y a « unanimité » au sein d’Ennahdha en faveur de cette nouvelle orientation, a assuré Ourimi, qui s’attend à ce que le congrès la valide sans difficultés. Les inquiétudes des militants d’Ennahdha sur une sécularisation de leur parti seront dissipées au cours du congrès, a-t-il soutenu.
Emmené par Ghannouchi, le mouvement veut sortir du « temple des Frères musulmans », explique Mokhtar Khalfaoui, qui estime qu’un nouveau Ennahdha sortira du congrès. « La nouvelle direction consacrée par le congrès aura pour mission d’éviter au parti le destin de l’islam politique.
L’enjeu de la prochaine étape sera la mise en place d’un islam démocratique », étaye-t-il. Reste à savoir si Ennahdha réussira à maintenir son poids et sa forme actuels s’ il abandonne sa dimension de prédication, et si cette séparation est suffisante pour sortir le mouvement du sillage de l’islam politique. Des questions pour l’après congrès.