Assis à même le sol, sur un tapis peau de mouton, s’accoudant sur une table basse d’antan, l’artiste plasticien Sami Ben Ameur, se met à l’oeuvre.
Dans son atelier au quatrième étage d’un vieux immeuble à la cité El Manar, ses tableaux submergent les lieux. Palettes de peinture et des pinceaux qui révèlent le monde fantastique des peintres. Une sorte de sanctuaire où se retire l’artiste pour créer loin du bruit de la ville et de la vie.
C’est dans cet atelier où est niché son projet artistique dont il parle et dont les éléments sont conçus dans son atelier avant d’être relogés sous forme de photographies au sein même de Borj Menif situé à Sfax.
“SOS Borj Ménif” : un monument en péril
Il s’agit de l’un des borjs en péril dans cette ville du Sud tunisien qui regorge de plusieurs trésors architecturaux.
“J’ai tenté de faire du borj un lieu où se fusionnent mes peintures avec les murs du monument et ses fenêtres pour créer une profonde osmose”, insiste l’artiste.
Sa peinture composée de calligraphie teintée de symboles, mettent en avant notre ancienne architecture, en focalisant sur des objets très intimes en relation avec la vie quotidienne du Borj sfaxien, faites sous forme d’installations.
La table basse, la natte de mouton, el-kabkab (Sabot) et la chaise du hammam, “el bendir” (tambour), “el-ghorbel” (tamis), sont tous des éléments que l’artiste a pris le soin de transformer en des oeuvres d’art.
Autant de contenus plastiques et esthétiques qui renvoient à une mémoire personnelle et collective, sont destinés à être photographiés et filmés sur le lieu du Borj afin de cerner la beauté du lieu et résumer les différents aspects de son intervention artistique sur ce monument historique.
Les photographies et le film (court-métrage) réalisés devront faire l’objet d’une exposition aux côtés du Borj du 22 au 24 avril.
Le projet de Ben Ameur s’inscrit dans le cadre de la manifestation “SOS Borj en péril” à laquelle s’associent plusieurs autres artistes et qui est organisée par l’association des “Amis des Arts plastiques” siégeant à Borj El Kallel à Sfax.
L’objectif de cette action est de sauver les borjs de Sfax dont la plupart sont des demeures en péril et donner la possibilité aux artistes d’intervenir dans le cadre de ces borjs pour présenter un travail artistique.
Initiative artistique pour mettre en valeur la beauté d’un lieu de mémoire
Des visites guidées et des bus feront l’itinéraire des différents borjs dans un circuit qui couvrira les borjs.
Sami Ben Ameur est parmi d’autres plasticiens de la région qui, chacun à sa manière, pris l’initiative de préparer un projet artistique d’un Borj, pour être ensuite présenté au large public.
Pour Ben Ameur, cette exposition revêt “une importance particulière qui marquera un tournant dans mon parcours artistique à travers la présentation d’un projet qui avait débuté depuis quelques mois par des visites sur le site du Borj pour inspection et réflexion sur la démarche à suivre”.
Dans son oeuvre de valorisation d’un monument, il a voulu que le Borj soit présent avec ses dimensions spirituelle et symbolique, en ravivant le souvenir du borj avec son rez-de-chaussée et premier étage.
Les outils de l’agriculteur tels que “el-mehrath” (Charrue), el-mhachaa (serpe) d’où se dégage l’odeur du terroir, sont au coeur de l’oeuvre et de l’âme de l’artiste.
El Borj, c’est aussi la grande serrure rouillée de la porte qui renvoie à l’image de son ami domestique, le cheval qui, jadis, le portait dans ses pattes. El Borj, c’est également le souvenir de puits, sources d’eau douce pour la population en été comme en hiver.
Les meubles des habitations anciennes où al-hassir (natte), al-klim (genre de tapis en paille ou en tissu), la natte de mouton et les couvertures en laine douce et chaude sont l’écho d’une vie simple et les traces de la mémoire collective d’une culture qui mérite d’être sauvegardée.
Il faudrait pas oublier “El borj el Arbi”, une appellation qui remonte à des centaines d’années passées où logeaient les familles de la région. Au début, ces habitations à géométrie pyramidale et aux murs robustes étaient étroites. Elles constituaient des forts qui les protégeaient des invasions externes. Avec le temps, les borjs se sont élargis en intégrant plusieurs pièces en fonction du nombre de chaque famille.
Un monument de la mémoire collective…souvenir d’enfance…volonté d’un artiste
Considéré l’un des anciens Borjs de la région, Borj Menif situé à Route Menzel Chaker aux faubourgs de la ville de Sfax, demeure un monument témoin d’une période mémorable de l’enfance de cet artiste.
Emporté par sa nostalgie au passé, l’artiste veut rentrer dans ses souvenirs toujours frais d’une enfance rêveuse. Il contemple la beauté d’une mémoire collective, gravée dans son âme et ses choix artistiques.
L’ultime but de la présence de ces éléments peints aux couleurs chaudes, celles de la terre, un thème de prédilection chez Ben Ameur depuis ses débuts dans l’Art, est de créer une harmonie entre le passé et le présent par l’intermédiaire de plusieurs éléments, entre peinture, installation et photographies.
On est face à ce qu’il appelle “une archéologie de la mémoire, un dialogue entre ses accumulations et son actualisation”, car la vie du borj pour Ben Ameur “est tout un monde à part”.
Accédant au borj, en passant par une petite porte, “vous vous sentez éblouis et emportés par un sentiment étrange et habités par la ténèbre intérieure en contradiction avec la lumière du jour”.
Ce sont les vieux objets éparpillés ici, les murs qui racontent des histoires consommées par le temps perdu, la lumière qui se faufile à travers les fenêtres entrouvertes… et cet escalier étroit dont on ne sait où ça mène.
Le temps se métamorphose et l’odeur du lieu, ses traces sur les murs et la poussière qui encercle ses différents coins mènent vers le souvenir de ses anciens occupants.
Les traces de leurs mains et pas racontent un épisode d’une vie passée mais toujours présente dans l’âme de tout un chacun ayant vécu dans ces lieux.