Difficile de commencer un spectacle quelques jours après le décès du grand poète tunisien Sghaier Ouled Ahmed sans rendre un hommage artistique et symbolique à la mémoire de cet ami des artistes et compagnon de route de tous les Arts.
Samedi soir, un hommage émouvant lui a été dédié à travers la lecture de son célèbre poème “Ouhibbou el bilada Kama la youhibbou el bilad Ahad” ponctuée par un moment solennel chargé de frisson quand une voix-off murmure un vers-hymne pour celui qui a envoûté la femme tunisienne : “Femmes de mon pays sont venues aux funérailles”.
Sous un déluge d’applaudissements et une pointe d’émotion à la mémoire de l’icône et de l’école, la soirée d’ouverture imprégnée de nostalgie a débuté dans le sillage des souvenirs, avec une rétrospective documentaire retraçant les moments forts des deux dernières éditions.
Après quatre années de repos forcé (2011-2014), et un retour en 2015, les JMC qui affichent leur reprise sous la direction de Hamdi Makhlouf pour la deuxième année consécutive se sont ouvertes hier soir au Palais des congrès de Tunis qui a vibré d’émotion, lors de la cérémonie rehaussée de la présence de la ministre de la culture et de la sauvegarde du patrimoine Sonia M’barek et de tous les invités de marque sous le halo des projecteurs.
Confié à l’Ensemble orchestral de Tunisie, sous la baguette de Rachid Koubaa, d’après une scénographie de la plasticienne parisienne Véronique Verstraete, le spectacle d’ouverture “Parfums”, oeuvre du pianiste, compositeur et arrangeur tunisien Mohamed Ali Kammoun, a emmené l’assistance dans un voyage spacio-temporel à travers les tréfonds musicaux du pays.
Rencontre fortuite entre un musicien et un tour du monde en auto-stop
Dans ce spectacle, rien n’a été laissé au hasard. Entre composition de quatre préludes et arrangement de quatre chansons du Djérid et de Tataouine, émane un portrait musical de la Tunisie, mis en relief par une animation visuelle, en arrière-scène, du designer- graphiste Raouf Karray (dessin en diaporama) à travers laquelle les couleurs chaudes sont synchronisées à merveille avec le son et le rythme.
Médaille d’encouragement de la quatorzième édition du concours des illustrations des livres pour enfants (Asia-Pacific Cultural Centre for UNESCO – ACCU) et auteur du livre d’artiste “Le Jardin parfumé pour le plaisir et l’esprit” Karray confie à l’agence TAP que ce spectacle musical et graphique est le fruit d’affinités entre deux artistes qui se sont croisés lors d’une rencontre fortuite à la Cité internationale des Arts à Paris 2014-2015: Mohamed Ali Kammoun le musicien et Raouf Karray, tour du monde en auto-stop (1969-1977).
De la Kasbah en passant par Sicca Veneria (Kef) jusqu’à Sakiet Sidi Youssef (8 février 1958 dans le cadre de la guerre d’Algérie), c’est le récit en musique de la révolte par les cris et de la mémorisation de la mort de plus d’une dizaine d’élèves lors des bombardements de Sakiet Sidi Youssef, explique le graphiste. C’est ce que ses encres sur papier artisanal faits à la main montrent dans les pièces instrumentales de Kammoun.
En réservant une place au chant, Kammoun a offert une vadrouille dans le répertoire cantique oublié du Sud tunisien Est et Ouest, en ravivant les joyaux musicaux jalousement conservés et soigneusement présentés lors de cette soirée.
Le Sud Tunisien à l’honneur avec deux registres interprétés par Arfaoui de Nefta et Lamir de Tataouine
Ce voyage puisant dans le patrimoine musical du sud n’a pas été fortuit. Entre “Rahlû bîk” et “Hizzi Hrâmek” morceaux interprétés par Mahmoud Arfaoui du Djérid (Nefta) et “Tarf Hramek”, “Khâwî Al-Nasy” et “El Galb yrîd” au chant par Moatassem Lamir (Tataouine), c’est tout un dialogue de culture et de rapprochement auquel Kammoun invite à travers la quintessence de son art.
Sur un tapis sonore et visuel submergé de poésie et de romance, c’est “Rit Ennejma” qui a donné le clap de fin en apothéose, une chanson interprétée par les deux artistes Arfaoui et Lamir dans un message symbolique : le Sud chante, c’est cette Tunisie dans sa diversité harmonieuse et plurielle”, confie avec grande émotion, Mohamed Ali Kammoun à l’agence TAP, à la fin du spectacle.
Parfums teintés de mélancolie : hymne à la Tunisie plurielle
Harmonie et affinités tels sont les deux bases artistiques qui ont réuni Mohamed Ali Kammoun et Raouf Karray aux côtés du musicologue tunisien Anas Ghrab. Mais aussi une quarantaine d’artistes entre musiciens et choeur qui ont participé à cette mélodie gracieuse, ayant eu droit à chaque fin de morceau, à un standing ovations.
Au rythme du son funeste du nay de Nabil Abdmouleh, de la cadence des percussions de Lotfi Soua et des envolées de batteries de Abdessalem Gherbi, s’ajoute les sonorités raffinées du violon de Zied Zouari qui, en solo, a été éblouissant lors de ce spectacle présenté en avant-première. Les performances de ce musicien talentueux ont soutenu la dimension “musiques du monde” du projet “Parfums” de Kammoun par cette remise au goût du jour du répertoire bédouin délaissé.
C’est avec des senteurs romantiques et fusionnelles, que le spectacle “Parfums” teinté de mélancolie, a donné à voir et à “découvrir la beauté d’une Tunisie plurielle, un pays riche par sa culture et fier de son patrimoine et de ceux qui ont réussi avec subtilité, à le revisiter et à le mettre en valeur”, a confié à l’agence TAP Amine Bouhafa, membre du jury de la compétition officielle, Tanit d’honneur pour l’ensemble de sa carrière lors des Journées Cinématographiques de Carthage en 2015 et César la même année de la meilleure musique originale du film “Timbuktu” du cinéaste mauritanien Abderrahmane Sissako.
Le concert est un portrait de la Tunisie toute entière dans sa musique, ses lieux, son histoire, ses blessures, ses douleurs, ses joies, ses espoirs et ses rêves. Cela dit, il faut pas oublier que les “Parfums JMC 2016” ne sont qu’une sélection des 24 parfums des 24 gouvernorats, composés pendant une résidence à la Cité Internationale des Arts de Paris, et de plusieurs workshops exploratoires dans le Sud tunisien dans ses deux côtés, Ouest et Est:
Nefta où a été tourné le film aux neuf Oscars, “Le Patient anglais” du britannique Anthony Minghella, et “Tataouine” où est née la planète des sables, Tatooine, de l’univers de fiction Star Wars du cinéaste américain George Lucas, inscrit au temple de la renommée du musée de la Science-Fiction de Seattle en 2006.