Seghaier Ouled Ahmed vit pleinement sa poésie, bohémien à souhait, indiscipliné à volonté

sghaier-ouled-ahmed-deces-2016“Ce poète vit pleinement sa poésie, bohémien à souhait, indiscipliné à volonté”, il n’ y aurait pas des mots plus justes et plus sincères pour décrire Seghaier Ouled Ahmed, poète de son époque”, décédé il y a deux jours et dont la disparition a suscité une vive émotion parmi ses compatriotes tunisiens à l’intérieur comme à l’extérieur du pays.

Attristé par la nouvelle, c’est son ami Tahar Bekri, poète tunisien d’expression française installé en France, qui dans un faire-part plutôt poétique que religieux se commémore de précieux moments gravés dans sa mémoire, ceux d’un “homme toujours ironique mais moins exubérant”.

“La gratitude et reconnaissance” manifesté par Ouled Ahmed, parti très tôt à l’âge de 61 ans, sont toujours présentes. C’était la réaction de l’Homme qui a donné à la poésie arabe contemporaine ses lettres de noblesse, en recevant l’ouvrage de traduction de ses poèmes à la langue de Molière réalisé par Bekri dans une première anthologie chez “Actes Sud” qui était repris ensuite par l’anthologie de “Poètes de la Méditerranée” (collection poésie Gallimard).

Bekri, poète bilingue natif de Gabès, cite ses rencontres à Paris avec feu Seghaier auprès de qui, il a, lors de ses courts passages dans la Capitale des lumières, a eu à découvrir la singularité de son ami de route qui, dit-il, “l’accompagnait pour des lectures”.

Leurs retrouvailles ont laissé chez Bekri le souvenir d’un poète dont “l’écriture à l’humour rare ne consistait pas dans le jeu de mots ou de calembours gratuits ou exercice langagiers” mais toucheraient plutôt différents aspects en relation avec le “socio-politique et le socio- religieux”.

Totalement habité par les causes de son proche et lointain entourage, tunisien et arabe, Ouled Ahmed dont la poésie des mots frôle parfois la limite du discours idéologique avait une telle audace qui lui avait causé harcèlement et inquiétudes des pouvoirs en place et les critiques de part et d’autre. Il s’est souvent trouvé menacé tantôt par “les foudres de la censure”, tantôt par celles du “fondamentalisme religieux”.

Pour preuve, son audace et son mot franc l’avaient conduits à être démis de ses fonctions à la tête de la Maison de la poésie à Tunis. “Une décision qui a beaucoup affecté” le poète libre, anticonformiste qu’il était et qu’est toujours resté et le restera car il ne cédait qu’à la parole libre, écrit Tahar Bekri.

“Mais qui a pu imaginer Sghaier Ouled Ahmed à cette fonction?”, s’interroge Bekri, car le défunt était à l’image de ses ancêtres du Sud, à Sidi Bouzid où il est né un certain 4 avril 1955. Brave et courageux, il n’a pas dérogé de la règle par ses idées qui crient l’injustice et l’oppression.

Terrassé par la maladie qui a eu son poids sur le corps et le moral du poète qu’il est mais jamais sur son âme, car selon Bekri, même si “l’homme s’est assagi ces derniers temps, son poème sur la langue comme une parole mordante, un brin de costume pour déjouer la minceur du corps”.

“Il aimait chahuter la redondance et jeter ses écrits comme des lance-pierre à la figure de ses adversaires”, ajoute Bekri.

Certes, “sa voix manquera à la littérature tunisienne”, écrit Bekri dont l’émotion est plus forte et le souvenir est plus grand que le deuil d’un homme dont la mort physique cède la place à une vie éternelle d’un poète dont la voix manquera à la littérature tunisienne.

Restera gravé chez son ami Bekri, ce dernier adieu lors d’une lecture commune à l’acropolium de Carthage au premier marathon des Mots-Kalimat, “Il m’embrassa sur le front”, écrit Bekri dont l’écho et la poésie des mots sont un dernier baiser que certes Ouled Ahmed recevra depuis sa tombe où il repose au Cimetière Jellaz à Tunis.