Politique : L’extrême gauche tunisienne, plus dangereuse que les islamistes (BCE)

tunisie-directinfo-moncef-marzouki-rached-ghannouchi-BCE-beji-caid-essibsi-hamma-hammamiDécidément, la fâcheuse tendance des chefs de l’Etat tunisien en visite dans les pays du Golfe à s’en prendre, arbitrairement, à l’opposition tunisienne, a l’air de devenir une mode, voire une tradition. Au cours de la récente visite à l’Etat du Bahreïn, Béji Caïd Essebsi (BCE) a tiré à boulets rouges sur l’extrême gauche tunisienne et lui a fait assumer, sans fournir de preuves, la lourde responsabilité d’avoir encadré la dernière insurrection sociale qui a ébranlé le régime en place.

Le chef de l’Etat, qui s’adressait, dans sa résidence Al Kadhibia à Manama, aux rédacteurs en chef des médias bahreïnis et dont un compte rendu a été rapporté, vendredi 29 janvier 2016, par le journal bahreïni «El Wassat», a déclaré en substance que l’extrémisme n’est pas propre aux islamistes et que le jusqu’au-boutisme de la gauche est plus subversif et plus féroce que l’extrémisme religieux. Et d’ajouter: «Nous avons combattu l’islamisme extrémiste et nous avons réussi. Aujourd’hui, nous nous employons à lutter contre l’extrême gauche».

Le Front populaire plus dangereux que Daech?

Décryptage: faut-il comprendre par-là que le Front populaire, qui représente l’extrême gauche en Tunisie, soit, aux yeux de BCE, plus dangereux que les mouvements religieux terroristes opérant en Tunisie tels que Ansar Chariaa, Al Qaida, Daech, Hizb Allah… lesquels ont à leur actif l’assassinat de deux cents touristes et tunisiens parmi les leaders politiques, soldats, policiers et simples citoyens dont un enfant berger…?

Loin d’être une gaucherie de BCE, ce dernier a réitéré ses attaques contre l’extrême gauche tunisienne lors d’une interview accordée, au cours de la même journée, à la chaîne de télévision saoudite «Al-Arabia». Dans cet entretien, le chef de l’Etat tunisien s’est montré plus menaçant et a annoncé qu’il va, bientôt, prononcer un discours au cours duquel il va révéler les noms des extrémistes de gauche impliqués dans la récente insurrection sociale. Dont acte.

Par leur mauvais timing, c’est-à-dire juste près l’insurrection sociale que vient de connaître le pays et dont les traumatismes ne sont pas encore disparus, ces déclarations de BCE, à l’étranger, risquent d’empester, de nouveau, le paysage politique en Tunisie d’autant plus que le Front populaire, même s’il n’est pas encore en mesure de se présenter comme une alternative politique pour accéder un jour au pouvoir, il n’en demeure pas moins que ce parti jouit d’une grande popularité et d’une grande sympathie auprès du peuple tunisien.

Et pour cause. C’est grâce au Front populaire que nous jouissons de la liberté de conscience instituée dans la Constitution. C’est grâce à lui qu’un débat est toujours engagé sur l’endettement excessif et la dette odieuse. C’est grâce à lui que certains articles de la loi de finances 2016 portant sur une amnistie de change (recyclant la corruption) ont été déclarés non-constitutionnels…

Le Front populaire demeure grand aux yeux des Tunisiens

Tout indique que le Front populaire ne va pas se laisser faire. Il a les moyens de se défendre. Parmi ceux-ci, figurent un groupe parlementaire composé d’une vingtaine de députés de grande facture, une crédibilité historique pour avoir payé dans son combat contre le terrorisme islamiste le lourd tribu, d’avoir perdu, lors d’assassinats politiques, deux de ses meilleurs leaders, Chokri Belaid et Mohamed Brahmi, le soutien des exclus du pays, et surtout la sympathie des médias, ce qui est loin d’être peu de chose.

Les ténors de ce parti n’ont pas manqué, d’ailleurs, de réagir avec virulence aux propos hostiles du président de la République et l’ont défié de prouver une quelconque implication directe du Front populaire dans les derniers actes de violence.

Invité, dans la soirée du vendredi 29 janvier 2016, par la chaîne El Hiwar Ettounsi, Moez Sinaoui, porte-parole de la présidence, s’est employé à atténuer la polémique. Emboîtant le pas à ses prédécesseurs (Adnan Mansar, porte-parole de la présidence au temps de Marzouki) et de Samir Dilou, porte-parole du gouvernement Jebali au temps de la Troïka), Sinaoui a cherché à corriger le tir et à «situer les propos de BCE dans leur contexte», déclarant que le chef de l’Etat parlait «de l’extrémisme de gauche dans l’absolu».

Pour une moralisation des locataires du palais de Carthage

Abstraction faite des éventuelles conséquences des déclarations de BCE lesquelles ont, a priori, des relents de diversion machiavélique, le moment est venu pour engager un débat public sur ces déclarations présidentielles à l’étranger, lesquelles s’en prennent, gratuitement, à l’opposition du pays.

Pour mémoire, avant BCE, son prédécesseur, le président provisoire Marzouki, avait mis à profit, lors de son mandat, un séjour à Qatar pour s’attaquer également à l’opposition dont BCE faisait partie à l’époque. Il avait dit à l’époque: «s’il vient à l’idée des extrémistes laïcs de chercher à s’emparer du pouvoir, on dressera des potences et des guillotines et il n’y aura pas de sages, comme Moncef Marzouki, Mustapha Ben Jaafar ou Rached Ghannouchi, pour prôner la modération, le dialogue ou la réconciliation nationale». Cette déclaration lui a coûté une motion de censure demandant sa destitution.

Cela pour dire que le phénomène n’est pas nouveau et qu’il a tendance à s’ancrer dans les traditions présidentielles, d’où l’enjeu de moraliser l’institution présidentielle et de rappeler «aux futurs» -bien futurs- locataires du palais de Carthage deux principes majeurs qu’ils doivent respecter.

Le premier consiste pour un haut responsable politique, à plus forte raison, un président de la République, de ne jamais traiter, à l’étranger, des problèmes de politique intérieure. Le second suppose que le chef de l’Etat reste au-dessus de la mêlée ou du moins se mettant à égale distance de tous les partis y compris le sien.

A bon entendeur.

Abou SARRA

Source : المصدر: صحيفة الوسط البحرينية

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