La Tunisie a une fâcheuse habitude héritée de Habib Bourguiba, c’est celle d’oublier ses héros et ses grands hommes et femmes.
En effet, l’ancien chef de l’Etat tunisien, Bourguiba, tout en étant un grand homme, était narcissique et égocentrique, à tel point qu’il a oublié ou préféré passer dans l’oubli plusieurs personnalités, et avait même gommé d’un trait toute une partie de l’histoire de la Tunisie, dont 3 siècle de la dynastie Husseinite en Tunisie.
Cela s’explique de manière brève par le souvenir d’une enfance, où sa famille fut spoliée par l’armée du général Zarrouk, précepteur d’impôts du Bey de Tunisie, qui fit un ravage au Sahel, expliquant en partie la naissance ultérieure du Mouvement national tunisien dans cette région mais aussi une certaine hypocrisie et une grande estime de soi chez Bourguiba.
Actuellement la Tunisie ne dispose d’aucun musée, monument ou exposition sur la Dynastie Husseinite qui a présidé aux destinées de la Tunisie pendant plus de 300 ans et qui a été fondée par Housein Ben Ali Turki. Les bijoux de la famille beylicale croupissent entre autres dans les coffres de la Trésorerie nationale, alors que leur place est au Musée du Bardo ou celui de la Banque centrale de Tunisie.
Les seuls vestiges se trouvent soit dans des collections privées, soit chez les descendants des beys, soit dans le seul Musée privé fondé à Tozeur de Dar Chrait, où on peut voir le sabre de Moncef Bey ou le costume officiel d’Ahmed Bey.
Je souhaite dans ses lignes non pas faire une expo historique, mais révéler un drame national culturel et une honte envers la mémoire de la Tunisie.
Cette anomalie concerne un vizir du monarque Sadok Bey, entre octobre 1873 et juillet 1877 et le Grand vizir du Sultan Abdulhamid III, Grand Sultan de l’Empire Ottoman de décembre 1878 à juillet 1879. J’ai nommé Kheireddine Pacha ou Kheireddine Ettounsi, Grand Vizir du Bey, homme d’Etat, diplomate, ministre de la Marine, et l’un des plus grands réformateurs que la Tunisie ait connus, auteur du fameux ouvrage qu’il rédigea suite à un voyage en Europe où il observa le monde politique occidental et où il apprit la langue de Molière.
En effet, en 1867, publia un livre en français, italien, arabe et turc intitulé “Le plus sûr moyen pour connaître l’Etat des Nations“ (avec son titre en arabe “Aqwam al-masalik li ma’rifat ahwal al-mamalik“), ouvrage dans lequel il établit un comparatif entre le Monde occidental et les pays musulmans, en général, et la Tunisie, en particulier, et les raisons de leur décadence, en insistant sur le fait que c’est à la classe dirigeante de montrer le chemin et d’être le gardien du bien-être de la population.
Keireddine Pacha, d’origine circassienne, d’une tribu abkhaze dans le nord-ouest du Caucase, esclave à Istanbul de Tahsin Bey, fut vendu à Hmed 1er Bey de Tunis en 1839 et parvint, grâce à son courage, à devenir au Palais de Bardo militaire dans la cavalerie de Mamelouks, jusqu’à atteindre le grade de Général de division, puis aide de camp du Bey.
Entre 1840 et 1850, il embarrassa la carrière diplomatique comme émissaire du Bey à Istanbul ou en Europe. Il devint par la suite ministre de la Marine et Grand Vizir dès 1873.
Grand réformateur, on lui doit la réforme des Habous, un code de commerce appelé “Code Keireddine sur les contrats et les obligations“.
Il modernisa le programme de l’Université Zitouna et fit du Collège Sadiki, en 1875, un lycée d’enseignement moderne sous la direction de Mohamed Larbi Zarrouk. Il partit s’installer à Istanbul en 1878 où il devint rapidement Grand Vizir du Sultan. Le 30 janvier 1890, il meurt à Constantinople; sa dépouille fut rapatriée en Tunisie le 9 avril 1968. Et c’est là que commença l’histoire.
En effet, le professeur Abdeljelil TEMIMI, professeur émérite à la Faculté des Sciences humaines et sociales de l’Université de Tunis et fondateur de la Fondation Temimi pour la recherche scientifique, fut nommé en 1971 par le Premier ministre d’alors, Bahi Ladgham, directeur des Archives nationales, dont le siège est au Premier ministère. Et lors d’une visite d’inspection, il découvrit, d’une façon fortuite dans une pièce fermée, 3 tombes -celles d’Ali Bach Hamba, Moheiddine Klibi et du Grand réformateur Keireddine Pacha. Aussitôt le professeur Temimi écrivit au Premier ministre pour l’informer de sa nouvelle découverte et lui demanda de transférer ces 3 tombeaux.
Il faut placer les événements dans leur cadre historique. Dans les années 60 et après les indépendances du Maghreb, plusieurs sépultures de leaders maghrébins ont été rapatriées, dont celle de l’émir Abdel Kader. Le président Bourguiba avait entrepris la même démarche auprès de plusieurs pays, dont Algérie, Syrie, Turquie et la Sicile, ce qui permit le rapatriement de plusieurs sépultures, entre autres celle de Habib Bou Gatfa de Sicile, de Hysayn Nouri d’Alger et celle de Keireddine Sadri Adham en 1968 de Turquie, lors d’un grand défilé qui fut présidé par Bourguiba, en personne, le 9 avril et Bourguiba, au cours duquel il prononça un grand discours.
Après la cérémonie, les 3 dépouilles furent entreposées dans une pièce aux Archives nationales, dans l’attente de construire un mausolée national –qui n’interviendra jamais-, jusqu’à leur découverte par le professeur Abdeljelil Temimi en 1971 et puis transférées en 1972 dans une destination inconnue.
On apprendra plusieurs années après et suite à une enquête minutieuse menée par le professeur Temimi que, sur ordre de Bourguiba, les 3 dépouilles ont été enterrées dans le carre militaire au cimetière Jallaz à côté de la tour Ali Rayyis. Donc un endroit inaccessible sans une autorisation militaire.
Ce n’est que le 2 août 2012 que le professeur Abdeljelil Temimi, accompagné d’Abdalkader Klibi et mohamed Dhifallah, a pu la visiter et prendre une photo (lire l’article du professeur Abdeljelil TEMIMI dans la revue “Approches d’histoire tunisienne et maghrébine du temps présent“ – Tunis – Février 2014, Série 3, n°30, pages 131-134).
Une honte pour la Tunisie.