Dans une interview accordée au site atlantico.fr, Alexandre Del Valle, essayiste franco-italien, chercheur, consultant international en géopolitique, et éditorialiste à France-Soir et puis à Atlantico, à la question de savoir si nous assistons à un changement d’époque concernant la menace djihadiste, répond que non, «… car l’Etat islamique n’est autre qu’une structure conçue par des gens passés par Al-Qaïda. Il y a une spirale dans les mouvements djihadistes, depuis les années 70, qui consiste à se radicaliser. Il y a donc, à chaque fois, un mouvement qui va se présenter comme plus pur, plus violent, plus carnassier que les précédents. Cette idéologie totalitaire est basée sur la lutte contre l’infidèle, c’est donc toujours le mouvement le plus dur contre les infidèles qui rafle la mise».
Dans son analyse, il estime que «… dans l’essence même d’une organisation comme al-Qaïda, elle-même fruit d’une organisation djihadiste préexistante, il y a l’embryon de l’Etat islamique…». De ce fait, Del Valle n’exclut pas l’apparition… prochainement d’«un autre mouvement encore plus violent que l’Etat islamique et qu’on trouvera plus dangereux. Ce n’est donc pas un changement de paradigme mais une intensification de l’horreur, qui s’accroît et fait croire qu’on a changé d’époque. Mais ce sont les mêmes personnages, à quelques exceptions près. Il s‘agit d’une accélération de l’Histoire dans la surenchère de l’horreur».
A la question : “Al-Qaïda est une nébuleuses djihadiste diffuse et protéiforme dont le but était de frapper les pays occidentaux. L’Etat islamique, de son côté, est un groupe territorialisé souhaitant rétablir le califat dans le monde arabe. Comment se fait-il alors que ce dernier soit plus dangereux pour l’Occident?“, Del Valle souligne que «… le mythe du califat a été transporté par des salafistes depuis des décennies, depuis l’époque des Frères musulmans, soit depuis les années 70. De plus, celui qui a commencé à lancer l’idée du califat sans vouloir l’appliquer tout de suite, mais qui en parlait systématiquement, est Oussama Ben Laden. Celui-ci a contribué à ancrer l’idée de la résurrection du califat. La différence est qu’al-Qaïda était une nébuleuse déterritorialisée qui consacrait sa lutte à des ennemis précis, tandis que l’Etat islamique veut à la fois attaquer l’ennemi lointain et l’ennemi proche tout en appliquant à la lettre ce que Ben Laden disait, sans jamais le faire, c’est-à-dire faire renaître le califat. L’Etat islamique est donc la continuité d’al-Qaïda, et même sa suite logique, car celle-ci n’avait pas que pour but de lutter contre les communistes puis contre les “croisés”, mais voulait également rétablir le “véritable” califat pour permettre au “vrai” islam de régner et d’éliminer les autres formes d’islam. On est grosso-modo dans la même idéologie malgré le fait que Daech soit territorialisé et tente de bâtir un Etat viable».
Il précise sa pensée, en disant : «cependant, l’Etat islamique n’a pas non plus éliminé l’idée d’attaquer l’ennemi lointain, occidental. La différence d’avec al-Qaïda est que Daech pense qu’on peut à la fois attaquer l’ennemi proche et l’ennemi lointain. Ainsi, on aura des kamikazes qui continueront à frapper car ces deux organisations, malgré leurs différences en termes de territorialisation, ont pour but premier d’éliminer les “mauvais” musulmans (chiites, laïcs, etc.) et d’établir une certaine lecture de la charia dans tous les pays musulmans.
Deuxième objectif pour l’EI: une fois que cet Etat islamique sera établi dans les pays arabes, il faudra partir à l’assaut du monde. Dans les deux cas, le reste du monde est donc menacé. L’idée du califat est de réislamiser tous les pays arabes et de les placer dans une même organisation en faisant voler en éclats les frontières, puis, d’attaquer l’ensemble du monde non-islamique. D’où l’importance des attentats dans les pays occidentaux, qui n’ont pas pour but uniquement de faire plier des gouvernements qui interviendraient contre des musulmans, cela est un prétexte, mais surtout de créer une sidération».
Répondant à la question «si Daech dispose d’une stratégie territorialisée, sa propagande s’adresse directement aux Occidentaux en cherchant à les retourner contre leur propre univers. De quelle façon le groupe terroriste exploite-t-il la perte de sens générée par le monde occidental?», l’essayiste indique : … «Après avoir étudié les mouvements islamistes pendant des années, je défends la thèse que la racine du problème est également chez nous. Une société qui a du sens, des valeurs et des racines, ainsi qu’une véritable identité dont elle est fière et dont les dirigeants se posent en tant que défenseurs, est presque inattaquable».
Toutefois, ajoute-t-il, «une nation, ou un groupe de nations, dont les valeurs sont purement abstraites : les droits de l’Homme, le droit des minorités, etc., qui a évacué toute idée d’identité et de défense de ses racines, qui réduit la religion à sa plus simple expression ou la combat, créera un vide identitaire et spirituel. Or, cela est terrible car c’est un luxe de gens éveillés issus d’une certaine société de se dire citoyens du monde sans religion. L’être humain a besoin de se sentir encadré par des règles, une identité, une appartenance, une spiritualité ou une religion, sinon il angoisse. Une société plongée dans cette angoisse sartrienne, cette nausée, et coupée de toutes références identitaires et religieuses, ou assommée dès l’enfance par la culpabilisation de ses racines, est un véritable carburant pour l’Etat islamique. J’en veux pour preuves qu’un certain nombre d’Occidentaux qui partent se battre avec Daech ou al-Qaïda, quand ils ne sont pas d’origine musulmane, sont déracinés et abreuvés de la haine d’eux-mêmes, ce sont les victimes de cette haine de soi. S’ils n’avaient pas intégré la haine de leur propre culture et de leur propre civilisation, l’Etat islamique aurait eu beaucoup plus de mal à les recruter».
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