Des enseignes vertes qui affichent le caducée des pharmaciens allant jusqu’aux vitrines attractives, en apparence rien ne semble les distinguer des pharmacies ordinaires.
Pourtant, la différence est considérable puisque les parapharmacies proposent des produits pharmaceutiques sans prescription médicale. Ce qui soulève de nombreuses questions sur la nature des risques encourus par l’usage de certains produits qui s’y vendent.
Depuis quelques années, on assiste à un véritable boom des parapharmacies qui affichent leur présence un peu partout, même sur la toile. Face aux prix compétitifs et aux offres alléchantes qu’elles proposent, certains consommateurs n’hésitent pas à acheter ces produits sans s’interroger sur leur provenance ni sur les risques éventuels qu’ils peuvent avoir sur la santé.
Il semble que les produits vendus dans ces espaces ne sont pas contrôlés puisqu’on a constaté qu’une plateforme en ligne continue de commercialiser des écrans solaires («Trio S »), retirés du marché depuis le mois de mai dernier, suite à la découverte de lots contrefaits. En voulant en savoir plus sur cette plateforme, on s’est aperçu qu’elle traite avec des parapharmacies ouvertes au public.
Comment des produits suspects sont encore commercialisés sur le marché tunisien ? Interrogé sur cette question, le président du conseil national de l’ordre des pharmaciens de Tunisie (CNOPT), Jalel Abdallah a indiqué à l’agence TAP que ces espaces de vente profitent du flou juridique pour prospérer “d’une manière anarchique”, puisque selon lui, il n’existe aucun cahier des charges qui réglemente leurs activités. Pour ouvrir une parapharmacie, a-t-il poursuivi, il suffit de payer une patente de 60D au ministère des finances, comme n’importe quel pointe de vente classique.
Un secteur qui échappe à tout contrôle
Pour ce qui est du contrôle des produits qui se vendent dans ces espaces, il a souligné que le ministère de la santé n’a pas le droit de les inspecter car ce ne sont pas des produits médicamenteux, faisant savoir que cette prérogative ne relève même pas du ministère du commerce.
Avec ce flou juridique, a-t-il affirmé, les citoyens fréquentant les parapharmacies sont exposés à des risques liés à l’usage de certains produits comme les compléments alimentaires, les laits pour bébés, les plantes médicinales, les dépigmentants qui sont des produits cancérogènes et les dispositifs médicaux qui peuvent engendrer des accidents de santé publique.
“La vente de ces produits requiert un conseil pharmaceutique, ce qui n’est pas toujours le cas dans les parapharmacies, car il n’existe aucune loi qui exige la présence d’un pharmacien sur ces lieux de vente” a-t-il martelé.
En outre, Jalel Abdallah a pointé du doigt l’origine douteuse de certains produits commercialisés dans les parapharmacies, évoquant dans ce sens, l’affaire du “Dexaméthasone”, corticoïde dangereux provenant du Nigéria et repéré récemment sur le marché tunisien.
Selon lui, la possibilité que ce produit soit vendu dans les parapharmacies n’est pas exclue, indiquant que s’il y avait une traçabilité, il y aurait eu un retrait immédiat de ce produit. Pour faire face à la montée anarchique de ces points de vente, Abdallah a indiqué que depuis 2011, le conseil national de l’ordre des pharmaciens a attiré l’attention du ministère de la santé et celui du commerce sur la nécessité d’encadrer ce secteur, mais il n’y a pas eu de suite.
“En mai dernier, nous avons adressé une correspondance au ministère de la santé dans laquelle nous l’avons appelé à mettre en oeuvre l’arrêté dressant la liste des produits pharmaceutiques non médicamenteux dont la vente doit être assurée, exclusivement, par les pharmacies en raison de leur caractère spécifique”, a-t-il dit.
Selon Abdallah, cet arrêté qui a été élaboré en collaboration avec le conseil de l’ordre des pharmaciens, le ministère de la santé, la direction de la pharmacie et du médicament (DPM) et le ministère du commerce, tarde à voir le jour.
Le secrétaire général du syndicat des pharmaciens d’officine de Tunisie (SPOT), Rached Garaali a dénoncé, quant à lui, les pratiques de certaines parapharmacies qui n’hésitent pas à imiter les vitrines des pharmacies, allant jusqu’à emprunter leur caducée.
“Leurs enseignes affichent le mot pharmacie en grande police accompagné de la précision para, qui est écrite en petite police, ce qui induit les gens en erreur”, a-t-il déploré. Il a appelé les ministères du commerce et de la santé à intervenir pour une organisation et un contrôle rigoureux du secteur afin de contrer les risques sanitaires.
Une agence pour contrôler les produits pharmaceutiques
De son côté, Walid Hammami, propriétaire d’une parapharmacie à El Manar et titulaire d’un diplôme de préparateur en pharmacie est venu appuyer l’idée selon laquelle ces espaces de vente doivent impérativement être dotés d’un cahier des charges. En outre, il a appelé à ce qu’ils soient gérées par des personnes qualifiées, ce qui permettra, selon lui, de préserver la santé publique et de répondre aux problèmes de chômage chez les jeunes diplômés en pharmacie qui se trouvent “incapables d’ouvrir leurs propres pharmacies”.
“La procédure d’ouverture d’une pharmacie est, en effet, coûteuse et requiert que l’on soit inscrit sur une liste d’attente”, a-t-il expliqué. Contacté par l’agence TAP pour savoir s’il existe des mesures pour réguler ce secteur, le conseiller auprès du ministre de la santé, Anis Klouz a affirmé que d’ici l’année prochaine, tous les produits vendus dans les parapharmacies seront obligatoirement contrôlés.
Dans ce contexte, il a annoncé la création d’une agence des produits de santé qui aura pour mission de contrôler, notamment, les dispositifs médicaux ainsi que les produits dermato-cosmétiques et nutritionnels. Cette structure, a-t-il ajouté, travaillera en coordination avec les ministères de l’agriculture, de l’industrie et du commerce.