Une rencontre intéressante que celle organisée samedi 4 avril 2015 par la HAICA (Haute instance indépendante de la communication audiovisuelle) et qui avait pour objet de décortiquer la couverture médiatique des événements tragiques perpétrés le 18 mars au Bardo par les supports audiovisuels. Une rencontre intéressante si ce n’est que les représentants des organisations de défense de droits de l’Homme ont été plus nombreux que ceux des médias concernés. Ce qui aurait été plus logique si le thème de la rencontre avait touché la problématique si chère aux activistes en question: Médias et droits de l’Homme.
En effet, nous n’avons pas remarqué la présence de la présidente du Syndicat des propriétaires de médias lors du débat. Elle n’aurait, semble-t-il, pas été invitée. Et sauf la présence du rédacteur en chef du télé-journal et du directeur de la première chaîne nationale, les premiers responsables des supports audio-visuels n’ont pas participé à une rencontre qui, pourtant, les concernait directement. Par contre, il y avait la présence de Human Right’s Watch, LTDH, Association tunisienne de lutte contre la torture et de militants (e) ainsi que Femmes et leadership invitée parce qu’ayant réalisé une série de formations sur la violence dans les médias.
La HAICA, une instance constitutionnelle et l’un des acquis les plus importants post-14 janvier, aurait-elle du mal à définir ses priorités ainsi que son public cible? Devrait-elle redéfinir son rôle et ses prérogatives pour qu’on ne la confonde pas avec d’autres structures?
Eviter les interférences, c’est aussi faire en sorte qu’une instance constitutionnelle ne se transforme pas en un mégaphone pour les ONG, aussi respectables soient-elles et aussi nobles que soient leurs missions. Elle se doit elle-même d’observer une posture de neutralité absolue, cette même posture qu’elle exige des organes des médias…
Couverture des événements du Bardo: le procès des médias plutôt que des terroristes?
Toujours est-il que l’initiative prise par la HAICA pour juger de l’exercice médiatique post-Bardo est des plus louables car il importe que les supports de presse, dans un contexte de pluralisme du secteur de l’audiovisuel, voient leur exercice évalué par une instance de régulation autonome et indépendante.
Il ne s’agit donc pas de réquisitoire et encore moins d’une inquisition visant les médias. C’est ce que Riadh Ferjani, membre de la HAICA, a essayé de montrer à travers son exposé retraçant la couverture des événements dramatiques du Bardo. Même si certains intervenants au débat ont donné une dimension de procès condamnant systématiquement les médias pour leurs pratiques qui restent en dessous des attentes et qui viseraient à «blanchir le terrorisme et les “azlem“», oui on en parle encore… Quant aux terroristes, eh bien, leurs droits doivent être sauvegardés et protégés car l’Etat n’est pas «l’individu»…
Par conséquent, les droits-hommistes présents lors du débat ont dénoncé les pratiques des médias qui menacent les droits de l’Homme en Tunisie oubliant que le premier droit d’un Homme est celui à la vie et que la liberté des uns s’arrête là ou commence la liberté des autres… Mais c’est un blasphème que de parler ainsi dans la Tunisie post-révolution.
Riadh Ferjani a déclaré que la HAICA a relevé nombre d’écarts dans l’exercice journalistique après le Bardo: «Ceci étant, je voudrais quand même souligner que la couverture assurée cette année par les médias nationaux à cet événement tragique est de loin meilleure que celle du carnage de nos soldats en août 2014 au Chambi». Il a présenté une rétrospective de quelques reportages télévisés et radiophoniques qui montre des défaillances aussi bien des médias nationaux qu’internationaux. I-télé et BFM, télévisions françaises, auraient traité l’événement avec un manque de professionnalisme manifeste. Ainsi, i-Télé aurait diffusé en direct des informations sur le nombre d’otages et leur emplacement ce qui était risqué sur le plan sécuritaire; et BFM aurait repris le témoignage d’un otage diffusé sur i-Télé en lui prêtant un nom différent de celui cité par sa consœur.
«Ce que nous exposons aujourd’hui est une analyse qualitative et non quantitative des contenus des médias suite à ce qui s’est passé au Bardo. Nous avons relevé 28 manquements professionnels. Nous avons également relevé des contradictions dans les informations transmises par des sources officielles aux médias».
Pour la HAICA, certains supports audiovisuels et bien entendu nombre de journalistes ont failli parce qu’ils ont laissé l’émotion les envahir, ce qui pouvait altérer la justesse de leurs jugements dans la couverture des événements sanglants du Bardo. Ils n’ont pas été attentifs à la sécurité des personnes en diffusant les images et décrivant les faits en temps réel, ce qui représentait un risque pour les otages, les témoins, les forces de l’ordre et les journalistes eux-mêmes.
D’autre part, il va falloir, désormais, bien étudier les informations que nous diffusons «La course aux scoops peut servir inconsciemment les desseins des terroristes».
L’instance a déploré que certains médias ne prennent pas en considération les droits des spectateurs en les prévenant quant aux scènes choquantes, ou encore en diffusant des images qui n’ont aucune importance informationnelle.
Les médias peuvent également faillir lorsqu’ils ne rappellent pas aux intervenants qu’ils invitent l’importance du respect des réglementations et celui des lois lorsqu’ils expriment leurs opinions. A titre d’exemple ,un invité sur la chaîne Zaitouna qui avait déclaré que lorsqu’on prétend que boire du vin est hallal, on justifie le terrorisme: soit une explication logique à la violence et à l’extrémisme.
Une équation difficile: liberté d’expression et sécurité nationale
A l’échelle de nombre de pays, on cherche à réaliser une adéquation difficile: préserver la liberté d’expression en prenant en compte les enjeux sécuritaires et la protection des biens et des personnes. Ce n’est pas une tâche aisée lorsque nous sommes en manque de formations spécialisées, d’où le rôle du CAPJC dont nous n’entendons plus beaucoup parler ces dernières années.
«C’est la première fois que l’instance s’exprime publiquement sur l’importance de traiter le phénomène terroriste avec plus de vigilance et de professionnalisme. Nous avons d’ailleurs adressé trois mises en demeure à des supports médiatiques où nous remettons en cause le traitement de l’information en ce sens».
Pour la HAICA, l’information diffusée à grande échelle serait plus pertinente et mieux ciblée si l’on respectait au moins les principes suivants:
– la prise en considération de la sécurité des personnes, des forces de l’ordre, des médias et des otages lors des couvertures médiatiques;
– la liberté d’expression;
– le libre accès à l’information et le respect de l’éthique et des règles professionnelles dont la crédibilité des sources d’information.
L’analyse d’une couverture médiatique permet, dans l’absolu, par la façon dont est analysé et relaté un événement, de définir la capacité du média concerné à être crédible et professionnel.
Encore faut-il que toutes les instances régulatrices, à commencer par la HAICA elle-même, en passant par les syndicats et les associations des médias toutes catégories confondues, aient une idée sur ce qu’est exactement être un professionnel. Quels sont les programmes et les plans d’action mis en place par toutes ces structures pour améliorer le rendu médiatique, le réguler et le professionnaliser? En un mot: quelle est leur vision?
Beaucoup de débats, de conférences, de discussions mais pas de vision ni de plans pratiques pour que les acteurs des médias s’améliorent.
Jusque-là, on peut discourir autant que l’on veut, les choses ne changeront pas de sitôt ou peut-être bien par une bénédiction céleste…
Amel Belhadj Ali