«En toute franchise, ma place ne devait pas être sur ce plateau de télévision». C’est en ces termes de dépit, de dégoût et de déception que le philosophe et écrivain Youssef Seddik a quitté l’émission «Pour qui ose seulement» diffusée tous les dimanches soir sur El Hiwar Ettounsi.
Portée d’une exaspération.
Le philosophe, qui était invité au débat sur la «halalisation» de l’alcool par l’islamologue Mohamed Talbi pour qui «il n’est nulle part écrit que la consommation du vin est interdite, donc «haram», exprimait ainsi son mécontentement non pas du choix du thème mais de la manière avec laquelle la discussion était animée et surtout de l’insipidité, de l’agressivité gratuite et de l’indigence intellectuelle de certains invités, particulièrement Cheikh Ferid Béji et Ridha Belhaj, porte-parole du parti Ettahrir, un parti qui ne croit ni en la démocratie ni en la République.
Tout le long de l’émission, Youssef Seddik semblait parler à des obtus. Pourtant, la pensée qu’il défendait était certes dérangeante pour les commerçants de l’Islam mais elle était très simple à comprendre. Pour lui, depuis 14 siècles d’Islam, le coran et le Hadith n’ont jamais fait l’objet de relecture. C’est pourquoi il estime qu’il est «légitime pour tout musulman de relire et d’interpréter le Coran de son point de vue personnel», recommandant donc de le lire «en dehors de toute source traditionnelle et avec un regard neuf».
Ce dépit n’est pas un cas isolé
Le dépit de l’écrivain Youssef Seddik n’est pas un cas isolé. Le penseur et islamologue Mohamed Talbi, invité par l’animateur d’El Hiwar Ettounsi, Naoufel Ouertani, dans son émission Labess pour s’expliquer sur sa halalisation de l’alcool, a été obligé de quitter le plateau. Il était excédé par les harcèlements de l’animateur et de son invité, un minable professeur d’éducation islamique. Le spectacle de voir ce grand chercheur âgé de 94 ans demander du secours et sortir presqu’en courant était lamentable. L’islamologue Mohamed Talbi, qui a à son actif 26 ouvrages, mérite plus de considération et de respect, même si ne on partage pas toujours ses pensées.
Le journaliste et écrivain Taoufik Ben Brik a été à son tour harcelé sur la chaîne Nessma et par les critiques de son intervention quotidienne et par les invités de l’animatrice Meriem Belkadhi. Excédé et éreinté au point de disjoncter un jour et d’agresser à son tour un journaliste de la chaîne.
Cette agression, fruit d’une exaspération existentielle certaine, a donné l’opportunité à ses ennemis pour le casser. Que cela déplaise aux petites âmes incultes. Abstraction faite de son talon d’Achille, en l’occurrence son langage cru qui peut plaire comme il ne peut pas plaire, Taoufik Zoghlami Ben Brik demeurera un symbole de courage et de la liberté de presse. Sa farouche opposition au dictateur Ben Ali, son harcèlement historique par la police, son emprisonnement, tout autant que sa célèbre grève de la faim hyper médiatisée dans le monde doivent en principe l’immuniser contre toute précarité existentielle et toute autre situation dégradante.
Cette mise à mort médiatique de nos intellectuels a touché également l’islamologue, historien et penseur Hichem Djaiet. Il y a une année, l’animateur de l’émission «Qui ose seulement» avait invité l’historien en qualité de contradicteur de l’ex-président provisoire, Marzouki. Cette émission était un véritable guet-apens au cours de laquelle le penseur a été discrédité. L’animateur, réputé pour être blanchisseurs professionnel de tous les fléaux et mauvaises causes, avait réussi à faire dire au penseur que «Le président Marzouki est un bon président», alors que les spectateurs attendaient de lui une appréciation objective. Depuis, le penseur n’ose plus pointer le nez ni en public ni à la télévision.
La télévision, une machine à broyer les intellectuels?
Et la liste des intellectuels piégés et ridiculisés par des animateurs de télévision incultes est loin d’être finie. La télévision privée, obsédée par l’audimat et le buzz, est devenue désormais une machine à broyer et lyncher les intellectuels du pays. L’enjeu aujourd’hui est de les protéger quels que soient leurs dérapages, du reste, toujours contrôlés.
Dans d’autres cieux, les penseurs, écrivains, poètes, essayistes sont choyés et érigés en vedettes. Mais c’est sous d’autres cieux.