“Ceux qui prétendent que les camions ayant forcé en début de semaine les barrages de la douane à Ras Djedir ont été fouillés ont menti. Ces camions dont le nombre dépasse de loin la centaine n’ont, non seulement, pas été fouillés mais aucunement inquiétés par les forces sécuritaires suite au forcing qu’ils on effectué sur nos frontières et l’agression de deux agents de la douane nationale”, vient de nous assurer un représentant syndical des Douanes tunisiennes.
Inquiétante déclaration qui ne nous rassure pas du tout en ces temps où nous nous attendions au rétablissement de l’Etat après l’élection de l’ARP et la formation d’un gouvernement permanent. Alarmante, lorsque nous entendons fuser de partout dans les hautes sphères de l’Etat aussi bien au niveau de la présidence de la République que celle du Premier ministère : «Notre priorité est de rétablir l’autorité et le prestige de l’Etat et la sécurité».
De quelle sécurité parle-t-on là, alors que nous n’arrivons même pas à défendre les zones frontalières décrétées zones militaires? Où est notre armée? Devons-nous nous résigner à laisser les barons de la contrebande prendre en otage État et population semant les troubles et provoquant des émeutes dans les régions à chaque fois que l’on tente d’appliquer la loi et de se repositionner dans les zones qui ont échappé depuis janvier 2011 à l’autorité du pouvoir central?
A Ben Guerdane, Dhiba, Ras Djedir, Kasserine, les opérateurs dans la contrebande et parmi eux des hommes d’affaires assez actifs font la loi. Ces zones échappent au pouvoir de l’État, refusent de se soumettre à la suprématie de la loi et se soulèvent dès que l’on tente un tant soit peu de juguler les phénomènes de la contrebande et du banditisme transnational : “Vous parlez d’État, je ne vois pas d’État. Nous connaissons tous l’itinéraire suivi par les contrebandiers”.
“Aujourd’hui le port de Misrata en Libye est devenu un site privilégié pour nous exporter toutes les marchandises possibles et imaginables. Lors de la dernière opération, les vis-à-vis libyens des contrebandiers tunisiens ont envoyé 10 camions pour tester la réaction des agents de douane. Quand ils ont réalisé que l’on a utilisé le scanner pour voir ce qu’ils contenaient, les autres ont forcé le barrage, a ajouté le représentant du syndicat des douanes. Croyez-moi, il n’y a aucune volonté politique pour stopper ces activités illégales et dangereuses pour le pays”.
Car, in fine, qui nous garantissent que ces camions qui ont violé le sol national ne transportaient pas des armes, des drogues ou des marchandises nocives pour la vie de nos concitoyens? En Tunisie, il y a des dealers et des consommateurs de drogues qui empêchent les collecteurs d’ordures de toucher aux bennes parce qu’ils y dissimulent leurs drogues, mais personne n’en parle.
«Savez-vous que certains agents de la douane tunisienne se félicitent quand ils sont nommés dans les zones frontalières? Pour eux, ils ont gagné le gros lot», a déclaré une sociologue qui a fait des recherches sur la contrebande et ses rouages.
Autant d’assurance et de désinvolture de la part de bandits des grands chemins, c’est la preuve qu’il existe des complicités à l’intérieur du territoire national comprenant, bien entendu, les bénéficiaire de ces activités destructrices du tissu économique, mais aussi fort probablement dans les services des douanes et dans d’autres corps sécuritaires, ce qui est gravissime. Pire, dans cette lutte contre le grand banditisme, nous ne voyons pas de mesures réellement coercitives de l’État pour le juguler et cela se traduit par un laxisme effrayant de la part de l’appareil judiciaire. Quelles sont les chances pour que le gouvernement Essid ose sévir sans avoir peur des émeutes ou des troubles sociaux fomentés ci et là? Quand est-ce que nous pouvons espérer le rétablissement de la suprématie de la loi dans notre pays?
L’économie formelle est menacée de disparition, c’est la «somalisation» ou la «daéchisation» en marche en Tunisie car les opérateurs économiques sérieux se sentent orphelins et ne croient plus ni en la capacité de l’État à les protéger ni en un système incapable de leur rendre justice et d’imposer le règne de la loi.
Y a-t-il encore une justice dans ce pays?
Amel Belhadj Ali