Le long métrage dramatique “Timbuktu” du mauritanien Abderrahmane Sissako vient de décrocher hier soir le César du Meilleur film lors de la 40ème cérémonie des Césars du Cinéma à Paris. Sorti en 2014, ce film a raflé en tout sept Césars: meilleur film, meilleur réalisateur, meilleur montage, meilleure musique, meilleure photo, meilleur scénario original et meilleur son.
Derrière ces sept Trophées, figurent trois tunisiens à l’honneur: la monteuse Nadia Ben Rachid, l’auteur de la musique Amine Bouhafa et le directeur de la photo Sofiane El Fani. Quatrième long métrage du réalisateur depuis “La vie sur Terre” (Prix du meilleur long métrage au 9ème Festival du cinéma africain de Milan) “Timbuktu” est la première production étrangère sur laquelle travaille le trio.
“Timbuktu” ou “Le chagrin des oiseaux” (titre alternatif) du producteur et cinéaste mauritanien Abderrahmane Sissako est une co-production franco-mauritanienne qui réunit dans le casting et l’équipe technique sept tunisiens.
Pour la majorité, c’est leur première collaboration avec ce cinéaste habité dans son oeuvre par le thème de l’exil. Pour d’autres, ils sont déjà à leur 17ème année de collaboration, ce qui est le cas pour l’unique femme tunisienne dans l’équipe, Nadia Ben Rachid.
Nadia Ben Rachid : César du meilleur montage
Chef monteuse, Nadia Ben Rachid a eu une longue expérience professionnelle avec le cinéaste mauritanien. Ce sont 17 ans de collaboration depuis la petite première oeuvre en 1997 avec le court métrage, “Sabriya, la dignité” tourné en Tunisie avec la Société de production Nomadis Images. Dans sa filmographie, Abderrahmane Sissako a quatre longs métrages, où Nadia le suit jusqu’à 2014 dans “Timbuktu”, après “Vie sur Terre” (1997), “En attendant le bonheur” (2002, prix international de la critique Cannes 2002) et “Bamako” (2006, grand prix du public Paris Cinéma 2006). Dans la catégorie des courts de Sissako, elle a fait partie notamment de “Le Reve de Tiya” (2008).
Lauréate de nombreux prix dont le prix du montage au Fespaco 1999 pour “La vie sur terre”, elle a fait partie du film documentaire “Le facebook de mon père” (2012) de Erige Sehili, le film fiction de Merzak Allouache “Normal” (2011) en tant que chef monteur et le film documentaire “Les yeux ouverts” de Frédéric Chaudier (2010) en tant que monteuse. Elle a travaillé comme assistance-monteuse avec Roman Polanski dans “Pirate”, “Lune de fiel” et “Frantic”, mais aussi avec d’autres grands metteurs en scène tels que Claude Berri et Henri Verneuil.
Nadia Ben Rachid a été le Chef Monteur aussi du doc- fiction “Le Challat de Tunis” de Kaouther Ben Hania, et dont l’image a été confiée au chef opérateur Sofiane El Fani, directeur de la photo dans “Timbuktu”. Avec “Timbuktu”, elle a travaillé pour la deuxième fois avec Sofiane (Le challat de Tunis) et le compositeur de musique Amine Bouhafa, (le film documentaire de Mohamed Zran “Dégage”).
Amine Bouhafa: César de la meilleure musique
Amine Bouhafa, qualifié de génie de musique, est un compositeur de musique de films mais aussi de séries télévisées. Avec “Timbuktu” il signe sa première expérience dans une collaboration étrangère. Dans la musique de Timbuktu, il a fait un mélange subtil entre musique orientale et africaine et musique symphonique et occidentale. La direction musicale s’est jouée en fait à partir des couleurs orientales locales pour se tourner vers des sonorités universelles avec des arrangements symphoniques.
Le tout s’est fait avec une large variété d’instruments de musique : le oud, les percussions et à la base le fameux Duduk, le hautbois arménien.
Cadrant avec l’histoire dramatique du film (une vie paisible qui se transforme en un tragique drame; terrorisme religieux qui provoque la spoliation de la foi et de la dignité pour n’entraîner que terreur et souffrance amère dans un chaos ne laissant place ni à la cigarette ni à la musique), le recours au tapis sonore sur lequel se déploie la mélodie du Duduk, a été utilisé pour transmettre une certaine atmosphère où identité locale et musique universelle se marient. Pour donner naissance à un certain bouleversement sinon une émotion, qui touche l’intime : le tourment d’une famille, d’un peuple en quête de paix et de stabilité.
Ainsi aux côtés de célèbres joueurs du Duduk dont les artistes arméniens Gevorg Debaghyan ou Vache Sharafyan, s’ajoute sur la liste le Tunisien Amine Bouhafa. Ayant travaillé sur trois séries télévisées de l’égyptien Adel Adib dans “Bab El Khalkh”, “Place on the Palace” et “Jebel El Halel”, Amine livre une musique bouleversante dont on ne peut rester insensible.
Sofiane El Fani: César de la meilleure photo
Derrière le succès de “Timbuktu” qui vient de remporter le César de la meilleure photo, il ne faudrait pas oublier que Sofiane El Fani, Chef opérateur de l’image dans ” le chagrin des oiseaux” avait décroché auparavant le César de la meilleure photographie lors de la 39ème cérémonie des Césars. Sa rencontre avec Sissako remonte à l’année 2012 lors de sa visite avec Abdellatif Kéchiche à la 24ème édition des Journées Cinématographiques de Carthage (JCC). C’est à ce moment qu’est née cette première collaboration.
Sofiane El Fani a travaillé dans “Le fil” de Mehdi Ben Attia (2009), “Vénus noire” d’Abdellatif Kéchiche (2010), et “La vie d’Adèle” d’Abdellatif Kéchiche, Palme d’Or de Cannes 2013. Sur “Timbuktu” (2014), il est accompagné aussi de deux machinistes ou techniciens de plateau : le chef électro Habib Ben Salem et Amine Messadi, deuxième caméra.
Il est à noter que “Timbuktu” réunit dans le casting deux tunisiens: Abel Jafri dans le rôle principal de Abdelkarim, acteur français d’origine tunisienne connu dans le film “La Passion du Christ” et Hichem Yaacoubi dans le rôle du Djihadiste. Yaakoubi a joué en 2008 le personnage de “Reyeb” dans le film “Le Prophète” de Jacques Audiard, scénariste et réalisateur français, plusieurs fois récompensé aux Césars du cinéma et grand prix du jury au Festival de Cannes 2009.
Il avait également interprété le rôle du garde arabe dans le film “Munich” de Steven Spielberg en 2005, puis “Sélim” dans le film “Un enfant en danger” de Jérome Cornuau en 2014, la même année où il a été repéré pour “Le Chagrin des oiseaux” d’Abderrahmane Sissako. Une oeuvre qui exprime en profondeur la révolte des femmes et des hommes pour la dignité et la liberté.