II)- LE VOTE NEGATIF DES TUNISIENS
Le vote négatif, dit aussi «vote blanc» par analogie avec le vote blanc, est un système de vote institué, légalisé et pratiqué aux USA et dans certains pays de l’Europe de l’Ouest. Le 7 Octobre 2013, la Cour Suprême indienne ordonna à la Commission électorale d’offrir aux électeurs le choix du vote négatif. En tant que système de vote, le vote négatif ne nous intéresse pas ici mais nous l’utilisons dans son autre signification : «le vote négatif pratiqué comme une sanction et non plus comme une adhésion, comme défouloir et sanction du système». L’électeur ne trouve pas de proposition (personne ou liste) qui lui convienne, se dit pouvoir raisonner : «il n’y a pas de proposition qui me convienne, mais je sais en revanche celle dont je ne veux en aucun cas». Le vote négatif est alors un vote d’exigence. L’électeur pense, exige ou espère une réorientation de la stratégie, une meilleure répartition des responsabilités au sein d’une coalition élargie, une relance du dialogue politique et social entre les composantes de l’Etat et de la société.
A)- L’ASSEMBLEE CONSTITUANTE DU 23 OCT 2011
Les élections du 23 oct. 2011 se déroulèrent dans un moment euphorique historique qui ne se présente que très rarement à une société aliénée par le despotisme depuis des siècles. C’est la première fois de toute leur longue histoire que tous les tunisiens et tunisiennes âgés de 18 ans et plus sont conviés officiellement à choisir 217 députés pour former la seconde Assemblée Constituante depuis 1956. Cette constituante est en fait la réalisation officielle de l’un des dictats de l’Ugtt. Néanmoins, toutes les dispositions furent prises pour des élections « libres, transparentes et honnêtes ».
Liberté de presse, liberté de parole, liberté d’opinion, liberté de candidature, liberté de choix. La guerre idéologique déclenchée par les laïcs depuis le 15 dec. 2011 s’enflamma. Les partis politiques, les associations et autres « ong » poussèrent et se ramifièrent plus rapidement et plus abondamment que ne le fait le chiendent après une pluie abondante. Les tunisiens n’ont pas entendu de programmes, de stratégies, d’initiatives qu’ils attendaient. Seuls le discours et les faits idéologiques remplissaient les «unes» des journaux et les pages des réseaux sociaux.
Les tunisiens ont-ils élu majoritairement « les islamistes » ?
«Les résultats officiels des élections de l’Assemblée constituante en Tunisie ont été annoncés le 27 octobre au soir. Les islamistes d’Ennahdha sont les grands vainqueurs des élections… Le parti obtient 90 sièges sur 217, devant le Congrès pour la République et Ettakatol… Avec 41,7% des sièges, le parti islamiste est en tête … Il obtient au total 90 sièges sur 217. Pour gouverner, il n’aura besoin de s’allier qu’avec un seul parti de centre gauche, sans doute le Congrès pour la République de Moncef Marzouki …» (rfi.fr/afrique – Publié le 28-10-2011 Modifié le 31-10-2011).
Exemple d’intox, de suppositions hasardeuses et de démagogie. Tous les médias laïcs francisés de Tunisie ont fait écho aux français criant au loup garou.
«II – Résultat définitif et répartition des sièges» du «Rapport relatif au déroulement des élections de L’Assemblée Nationale Constituante Février 2012 P 190» :
«Mouvement Ennahdha : 89 sièges. Congrès Pour la République : 29 sièges. La Pétition populaire pour la liberté, la justice et le développement : 26. Ettakatol Forum Démocratique pour le Travail et les Libertés : 20 sièges. Le Parti Démocrate Progressiste : 16. L’Initiative : 5. Le Pole démocratique moderniste : 5. La liste de coalition (01) : 5. Elbadil ethawri Parti Communiste des Ouvriers de Tunisie : 3». Sans oublier les 18 autres partis qui n’ont qu’un ou deux députés.
Il est évident que les votants n’ont pas donné la majorité absolue à Ennahdha et, donc, aux «islamistes» puisqu’aucun autre parti qualifié d’islamisme n’était présent. D’ailleurs ces votants n’ont donné à aucun parti ou coalition la majorité parlementaire absolue. Ennahdha a eu une majorité avantageuse. C’est le premier signe du vote négatif. Quel que soit l’interprétation du résultat, le fait est que le pays n’est gouvernable que par une coalition politique et idéologique hétérogène qui rassemble 109 sièges au moins. Au vu du résultat, les la seule coalition possible est justement … la «troïka». Aucun autre parti ne pouvait rassembler une majorité absolue à la constituante.
Deux évidences apparurent dès l’annonce des premiers résultats et tout le monde en a eu conscience :
1)- Toute la «gauche» et tous les laïcs se prétendant « communistes », « nationalistes », « bourguibistes » et autres « socialistes » furent rejetés à part B. Jaafar le laïc francisé, chouchouté par la France qui voit en lui son second Bourguiba.
2)- Sous couvert de la troïka, Ennahdha est le seul gouverneur et décideur.
Et c’est la fureur, le branlebas de combat. Sans attendre et avant même l’officialisation du gouvernement, Essbsi et son gouvernement en connivence avec l’ugtt, le poct, le watad, le massar et la mafia tunisienne, ont mis le pays à feu et à sang, saigné l’économie, vidé tous les stocks et encouragé toute sorte de trafic même celui des armes. L’administration ne fonctionnait plus. On connaît la suite. C’est la principale et fondamentale conséquence directe du vote négatif.
B)- LES LEGISLATIVES DU 26 OCT 2014
Résultat : «1- Nidaa Tounes 85 sièges.2- Ennahda 69 sièges.3- Union patriotique libre 16 sièges. 4- Front populaire 15 sièges. 5- Afek Tounes 8 sièges. 6- Autres 24 sièges. Total : 217 sièges» (ISIE).
Les électeurs tunisiens n’ont pas dérogé d’un iota du vote négatif se comportant en juge sanctionnant. En 2011, ils ont sanctionné les «laïcs», c’est au tour des «islamistes» en 2014.
Bien, positif et heureux qu’ils n’aient pas donné une majorité absolue ni avantageuse à la calamité R. Ghannouchi. Pire, négatif et catastrophique qu’ils aient donné la majorité des sièges et avec un écart de 16 sièges à la calamité B. Essebsi sachant que ce zombie est candidat aux présidentielles. On retrouve aussi le même signe négatif du vote fragmentaire : une Chambre composée d’une mosaïque de partis. Encore une fois, le pays sera ingouvernable quel que soit le président et le gouvernement. Bonjour, anarchie. Rappelons que le vote négatif de sanction a montré ses conséquences désastreuses aux USA et dans la plupart des pays européens. Que les tunisiens soient frileux au parti hégémonique et à l’homme «unique» mégalomane et narcissique, et au clan familial n’explique pas cette immaturité politique et cette irresponsabilité politique chez eux. C’est simplement le résultat de l’idéologie élevée en finalité et but en soi.
C)- LES PROCHAINES PRESIDENTIELLES
Scénario 1 : Essebsi est élu président. C’est le retour au régime beylical dans ce qu’il a de plus abject et dans ses pires moments. Bourguiba, B. Ali, leurs familles et leurs clans ne seraient que de vrais anges devant Essebsi, son fils, Akrémi, T baccouch, Marzouk, Ksila, B Ticha et le reste de la meute «nidaiste».
Scénario 2 : M. K. Ennabli est élu. En plus de la meute «nidaiste», nous aurons un narcissique incompétent, sans expérience et sans volonté que celle d’appliquer à la lettre les dictats du FMI et de la B M.
Scénario 3 : Slim Riahy est président. C’est le Berlusconi de Tunisie en plus vil, plus retors et plus assoiffé de pouvoir et d’argent.
Scénario 4 : un ancien de B Ali : Il n’est qu’un valet, un pion qui ouvrira portes et fenêtres aux anciens et nouveaux mafieux et pourris.
CONCLUSION
– Quand le malaise démocratique mine le pays, quand les années Bourguiba et B Ali ont installé la corruption, le copinage, l’affairisme et la prédation sans scrupule au cœur même du pouvoir,
– quand la majorité des tunisiens jugent les responsables politiques « corrompus »,
– quand quatre sur cinq ne font pas confiance aux partis politiques,
– quand 9 millions de tunisiens, écrasés par la crise, ne parviennent pas à boucler leurs fins de mois,
* Comment ont-ils pu oublier que le rétablissement de la confiance entre les citoyens et leurs représentants suppose – impose – l’exemplarité des seconds ?
* Comment ont-ils pu ignorer que la fin ne justifie jamais tous les moyens ? Que la quête du pouvoir réduite à la quête de l’argent nécessaire pour le conquérir, sans projet ni vision, conduit à la dégénérescence même du politique ?
* Comment, au-delà de la question morale, individuelle, collective, républicaine – ont-ils pu à ce point négligé le sens de leurs responsabilités ? Ne pas mesurer qu’ils prenaient le risque de fournir autant d’arguments à tous les populismes, le terrorisme et l’extrémisme ?
* Comment n’ont-ils pas imaginé qu’ils justifieraient ainsi, comme jamais, la vieille antienne de l’extrême droite et de l’extrême gauche : « Tous pourris ! » ?
Réaction d’Amad Salem à l’article Tunisie – Elections: Comprendre la vraie leçon des législatives de 2014