On le croyait à jamais et depuis longtemps révolu. Mais force est de constater que le spectre du régionalisme ressurgit de ses centres sous l’effet dévastateur d’une compétition politique débridée et des frustrations électorales, vraies ou supposées.
Les politiques ont beau se défendre de toute velléité de diviser le pays, encore moins de semer la discorde entre les Tunisiens. Mais d’aucuns constatent qu’ils ne reculent devant rien, y compris jouer sur la corde sensible des préoccupations des gens et des effets de la crise, pour gagner des voix.
L’universitaire et sociologue Belaid Ouled Abdallah abonde dans l’explication de ce paradoxe, dans un entretien à l’agence TAP. Selon lui, la compétition électorale est telle que le candidat fait feu de tout bois pour l’emporter, y compris titiller la fibre régionale, voire parfois tribale, comme le constate un autre sociologue, Mohamed Jouili qui se dit frappé par le flot d’insultes et d’accusations charriées par les médias et les réseaux sociaux.
Selon lui, cette situation malsaine s’explique par la tonalité excessivement vindicative du discours ambiant et la tendance, la tentation, diraient certains, de redonner vie à des clichés largement galvaudés, d’un autre âge, surtout.
Et revoilà les stéréotypes de la discorde qui ressurgissent brutalement au fil des meetings électoraux et même sur les plateaux de télévision, au risque de voir s’installer la banalisation du phénomène.
La virulence de la dualité fait des ravages: beldi (tunisois)-provincial, citadin-rural, sahélien-habitant de l’arrière pays, Nord-sud. Une manifestation dans une région du sud-est va même vouer aux gémonies l’intention, vraie ou supposée, d’un candidat de dresser « le nord civilisé contre le sud rétrograde » et d’un autre, tout aussi à tort ou à raison, qui opposerait « le nord stipendié au sud militant ». Avec, en filigrane, les inévitables querelles partisanes et les reproches de préférence électorale.
« Du risque de jouer la carte régionale »
Le socialogue Belaid Ouled Abdallah fait porter à la classe politique une large part de responsabilité dans l’amplification du phénomène du régionalisme, reprochant à certains politiques de « parier », dans leur bataille électorale, sur les crises sociales et d’exploiter les erreurs des adversaires pour se constituer un « capital électoral ». Ces derniers, a-t-il dit, puisent ces erreurs dans les propos sur des thèmes sensibles comme les inégalités sociales, la pauvreté, l’analphabétisme et le chômage pour faire ressurgir de « vieux démons ».
Il en va de même pour l’exploitation de « l’origine ou l’extraction sociale », lorsque le candidat met à profit sa popularité dans la région dont il est originaire pour rassembler le plus grand nombre d’électeurs de cette région autour de lui. Le sociologue cite le cas du candidat du Courant Al- Mahabba, Hechmi Hamdi, qui a réalisé dans sa région natale (Sidi Bouzid) son meilleur score du premier tour de l’élection présidentielle. Pour bien réelles et objectives qu’elles soient, a-t-il ajouté, les disparités entre les régions sont le produit de l’environnement économique et social mais ne doivent en aucun cas servir de prétexte pour diviser le pays.
Le même sociologue explique le vote massif des gens du sud en faveur du Mouvement Ennahdha par le fait que les principaux dirigeants de ce parti sont originaires de cette partie de la Tunisie. Le sociologue Mohamed Jouili va plus loin en expliquant la résurgence du phénomène du tribalisme par les dérives du discours politique vers l’utilisation abusive de la dimension régionale au point de verser dans l’apologie de la haine et de la violence.
Il fait porter en partie la responsabilité aux médias, en ce que certains d’entre eux se focalisent trop sur les passages les plus vindicatifs de certains discours ou propos politiques. « Le temps de l’apaisement et du discours rassembleur »:
Belaid Ouled Abdallah pense que le phénomène du tribalisme et du régionalisme va s’estomper progressivement une fois connus les résultats définitifs de l’élection présidentielle et avec le retour à la stabilité politique. Pour en finir avec les dérives constatées, Jouili a adjuré les politiques de renouer avec un « discours modéré et apaisant », « un discours qui rassemble les Tunisiens et ne les divise point ».