Tunisie : Des défis économiques majeurs attendent le prochain gouvernement

Le gouvernement qui émanera du nouveau parlement sera confronté à des défis économiques majeurs et fera face à des demandes sociales «urgentes», suite aux difficultés économiques et sociales que le pays connaît.

Le nouveau gouvernement, quelle que soit sa composition (partisane, de coalition ou d’unité nationale) se trouvera dans une conjoncture difficile, de l’aveu des instances financières internationales qui ne cessent d’abaisser le taux de croissance du pays et sa note souveraine.

Depuis la révolution du 17 déc 2010/14 janv 2011, la Tunisie n’a pu retrouver le rythme de croissance économique celui-ci s’étant maintenu à de faibles niveaux, suite au rendement décroissant des catalyseurs de l’économie, à savoir l’exportation et l’investissement extérieur. Aussi, la banque centrale de Tunisie (BCT) prévoit un taux de croissance ne dépassant pas 2,4% à la fin de l’année en cours.

Par ailleurs, le recours excessif des derniers gouvernements à l’endettement a provoqué une hausse de l’encours de la dette évalué à 37174 MD, hissant ainsi le taux de l’endettement à 44,1% en 2014 contre 41% en 2013, selon les prévisions de la BCT. Tous ces indicateurs ont placé, aujourd’hui, la Tunisie dans une situation à «hauts risques», selon la classification de la plus grande agence de notation internationale «standards & poor’s ».

La BCT avait déjà mis en garde contre les grands risques qui menacent les équilibres financiers du pays, surtout sur le plan extérieur, au vu de l’approfondissement du déficit commercial compte tenu de la régression des exportations, celui pouvant s’aggraver au cours des prochains mois en raison d’une absence de relance dans la zone euro.

Sur le plan extérieur la lenteur du rythme de la croissance de l’économie mondiale s’est accentuée et la situation économique dans l’Union européenne (UE), premier partenaire économique de la Tunisie se dégrade, outre l’instabilité du marché libyen, deuxième partenaire économique de la Tunisie. Des experts en économie craignent que ces facteurs entraînent des pressions additionnelles sur l’économie tunisienne en cette période.

L’expert en gestion des risques et des crises financières, Mourad Hattab, a considéré que la nouvelle constitution a mis en place un système parlementaire sans précédent dans l’histoire politique de la Tunisie. Ce système se caractérise par les bouleversements rapides et des perturbations sur le plan des alliances et des changements des gouvernements.

Par conséquent, la stabilité économique, politique et sociale reste, selon lui, un enjeu de taille dont la réalisation demande la conjugaison des efforts. Parmi les priorités du nouveau gouvernement figurent, d’après lui, la récupération par l’Etat de son rôle régulateur à la faveur de la réalisation de projets d’investissement en matière d’infrastructure de base, d’autant qu’au début de l’année 2012, les investissements consacrés au développement et à l’équipement n’ont pas dépassé 27,9%. En effet, les dettes contractées par les derniers gouvernements ont servi à hauteur de 67,5% à atténuer le déficit du budget de l’Etat, selon le rapport de la BCT.

L’expert a souligné la nécessité d’instaurer un partenariat public-privé (PPP) pour concrétiser des projets d’infrastructure de base de manière à résorber progressivement le chômage et d’impulser l’exportation, afin de dépasser la récession de la balance commerciale et de réduire le déficit de la balance des paiements. Hattab a, également, mis l’accent sur la nécessité d’injecter la liquidité dans le système financier, afin de garantir la durabilité du financement de l’économie nationale et de booster les secteurs stratégiques. Cette démarche, selon lui, vient limiter la dépréciation du dinar tunisien qui a réduit de près de 22% le pouvoir d’achat du citoyen depuis 2012.

Il importe au nouveau gouvernement de réviser les mesures inscrites dans le budget de l’Etat pour l’année 2015 qui ne répondent pas aux critères de gestion des finances publiques «surtout que le gouvernement de Mehdi Jomâa n’a pris aucune décision sérieuse, telle que la réforme fiscale». L’expert a ajouté que ces mesures peuvent mettre le prochain gouvernement en confrontation avec une loi de finances et d’autres dispositions économiques draconiennes qu’il sera obligé d’appliquer. Il convient de rappeler que le budget de l’Etat 2015, a institué une réduction de 40% en matière de subvention, allant de cinq milliards de dinars en 2014 à 3 milliards de dinars en 2015.

Mourad Hattab a souligné que le prochain gouvernement est appelé à « réviser certaines lois dont l’examen a été reporté jusqu’à la prise de fonctions du nouveau parlement. D’après lui, ces lois sont relatives à la création d’une société de gestion d’actifs, au partenariat public- privé (PPP) qui pourrait favoriser des dépassements dans le domaine des concessions et leur transfert vers des parties inconnues sans omettre la réforme du système bancaire et la loi sur la concurrence et les prix.

De son côté, l’expert économique Radhi Meddeb estime que «la sortie de la crise n’aura pas lieu durant les 100 premiers jours du nouveau gouvernement mais les décisions de ce dernier auront une grande importance pour resusciter l’espoir auprès de plusieurs parties actives.»

D’après lui, le nouveau gouvernement est appelé à adresser des messages forts au moins aux régions éloignées, aux jeunes à la recherche d’emplois, à la classe moyenne, aux entreprises économiques, aux banques, à l’administration et aux institutions internationales de développement et de financement, outre la réalisation de résultats concrets durant ce qui est communément appelé les 100 premiers jours.» Il a ajouté à l’agence TAP que les dossiers brûlants posés devant le nouveau gouvernement sont multiples et complexes en l’occurrence la nécessité d’établir la sécurité, la lutte contre le terrorisme et plusieurs autres problèmes économiques.

Meddeb a souligné la nécessité d’adopter un nouveau modèle de développement et des réformes structurelles en dépit de l’impact douloureux qu’elles pourraient avoir sur les bénéficiaires du modèle hérité. «En dépit de l’importance de ces réformes dans l’accélération de la croissance et la réalisation d’un développement plus inclusif, durable et plus équitable, il est peu probable que les gens attendent jusqu’à ce que ces réformes donnent leurs résultats à moyen terme »,a-t-il fait remarquer.

Accorder la priorité à la jeunesse et aux régions intérieures

Pour l’expert, le gouvernement est appelé à accorder la priorité dans ses décisions, aux régions intérieures et à la jeunesse (locomotive de la révolution) à travers le financement des micro-projets et l’encouragement de la participation de tous les acteurs de la vie économique, sociale et politique, tout en mettant en place un programme permettant à toutes les catégories et régions de maîtriser l’utilisation de l’ordinateur et d’avoir accès à la société du savoir. «Pas d’avenir pour un pays qui ne mobilise pas son énergie et sa jeunesse pour construire son avenir » a-t-il dit.

Le prochain gouvernement est appelé à traiter la dégradation du pouvoir d’achat de la classe moyenne compte tenu de la hausse des prix, phénomène dans lequel la prolifération de la contrebande et du commerce parallèle et la faiblesse du contrôle économique ont joué un rôle décisif.» Selon cet expert, l’entreprise privée peut jouer un rôle de premier plan dans la sortie de crise à travers l’investissement, la contribution à la création de richesses, la promotion de la production et de l’exportation, de manière à contribuer à créer des emplois et à établir une économie efficiente.

Renforcer la confiance et la mobilisation de toutes les énergies de l’administration L’expert estime, en outre, que «la réalisation des objectifs escomptés demeure tributaire du renforcement de la confiance de tous les intervenants économiques et le prochain gouvernement est le premier responsable dans la mise en place d’un climat économique et sécuritaire incitatif fondé sur la concurrence loyale et la lutte contre le clientélisme.

Cet objectif demeure irréalisable sans une contribution active du secteur bancaire et une refonte profonde de sa gouvernance et son organisation étant donné que l’investissement est lié au financement, d’après lui. Il est également impossible d’engager des réformes sans la mobilisation de toutes les énergies de l’administration après leur avoir accordé toute la confiance, a-t-il dit. Il s’agit, également, de restaurer la confiance des institutions financières internationales et de les convaincre du sérieux du processus ainsi que de traiter les engagements des gouvernements précédents, tout en activant les réformes prévues sans retard et tergiversation, a-t-il conclu.