Le long-métrage “Timbuktu” de Abderrahmane Sissako, en lice pour la Palme d’Or, a décroché vendredi soir le prix du jury oecuménique et du prix François-Chalais 2014.
Le Prix François-Chalais, est une récompense de cinéma décernée chaque année au festival de Cannes pour un film voué aux valeurs du journalisme. Pour le jury, Timbuktu exprime au mieux l’esprit et l’éthique du journaliste François Chalais, la révolte des femmes et des hommes pour la dignité et la liberté. Le Prix du jury oecuménique est une récompense cinématographique décernée par un jury indépendant lors du festival de Cannes depuis 1974 à un long métrage de la compétition officielle.
Derrière ce succès, une équipe artistique et technique de 7 Tunisiens
En effet, parmi les 18 films en compétition pour Palme d’Or, figure le long métrage dramatique “Timbuktu” ou “Le chagrin des oiseaux” (titre alternatif) du producteur et cinéaste mauritanien Abderrahmane Sissako, membre du jury des longs-métrages au festival de Cannes 2007. Cet unique long métrage africain en lice, est une co-production franco-mauritanienne qui réunit dans le casting et l’équipe technique de remarquables qualifications tunisiennes, sept en tout dont une femme.
Pour la majorité, c’est leur première collaboration avec ce cinéaste habité dans son oeuvre par le thème de l’exil. Pour d’autres, ils sont déjà à leur 17 année de collaboration ce qui est le cas pour l’unique femme tunisienne dans l’équipe, Nadia Ben Rachid, sa monteuse préférée.
Nadia Ben Rachid: 17 ans de collaboration avec Sissako
Chef monteuse, Nadia Ben Rachid parle avec beaucoup d’émotion à l’agence TAP de sa longue expérience professionnelle avec le cinéaste mauritanien. Ce sont 17 ans de collaboration depuis la petite première oeuvre en 1997 avec le court métrage, “Sabriya, la dignité” tourné en Tunisie avec la Société de production Nomadis Images.
Elle se rappelle bien: c’est Dorra Bouchoucha qui m’a introduit car il avait besoin d’une monteuse qui parlait l’arabe. Dans sa filmographie, Abderrahmane Sissako a quatre longs métrages, dont Nadia est la cheville ouvrière. En tant que monteuse, elle le suit jusqu’à 2014 dans “Timbuktu” après “Vie sur Terre” (1997), “En attendant le bonheur” (2002, prix international de la critique Cannes 2002) et “Bamako” (2006, grand prix du public Paris Cinéma 2006).
Dans la catégorie des courts de Sissako, elle a fait partie notamment de “Le Reve de Tiya” (2008). Parlant de son expérience avec “un réalisateur incroyablement magnifique”, elle n’en revient pas: c’est formidable de travailler avec un réalisateur de tel calibre, c’est vraiment une chance rare et unique. A chaque production, on progresse, on avance en essayant toujours de donner le meilleur de nous pour être à la hauteur de la confiance qu’il nous a donné” a-t-elle mentionné.
Sissako, grand ami du producteur tunisien Mohamed Chellouf venu spécialement à Cannes pour voir son film, “le cinéaste dispose de grandes qualités humaines” témoigne Nadia.
Lauréate de nombreux prix dont le prix du montage au Fespaco 1999 pour “La vie sur terre”, elle a fait partie du film documentaire “Le facebook de mon père” (2012) de Erige Sehili, le film fiction de Merzak Allouache “Normal” (2011) en tant que chef monteur et le film documentaire “Les yeux ouverts” de Frédéric Chaudier (2010) en tant que monteuse. Elle a travaillé comme assistance-monteuse avec Roman Polanski dans “Pirate”, “Lune de fiel” et “Frantic”, mais aussi avec d’autres grands metteurs en scène tels que Claude Berri et Henri Verneuil.
Nadia Ben Rachid a été le Chef Monteur aussi du doc-fiction “Le Challat de Tunis” de Kaouther Ben Hania (projeté à Cannes 2014 dans la section Acid), et dont l’image a été confiée au chef opérateur Sofiane El Fani.
Avec “Timbuktu”, elle a travaillé pour la deuxième fois avec Sofiane (Le challat de Tunis) et le compositeur de musique Amine Bouhafa, (le film documentaire de Mohamed Zran “Dégage”).
Quatrième ong métrage du réalisateur depuis “La vie sur Terre” (Prix du meilleur long métrage au 9ème Festival du cinéma africain de Milan) “Timbuktu” est la première production étrangère sur laquelle travaille le trio.
Amine Bouhafa: le Duduk, instrument important pour les besoins du Chagrin des Oiseaux
Amine Bouhafa, qualifié de génie de musique, est un compositeur de musique de films mais aussi de séries télévisées. Parlant de cette première expérience dans une collaboration étrangère, Amine Bouhafa, d’une voix douce, confie : dans la musique de Timbuktu, j’ai fait un mélange subtil entre musique orientale et africaine et musique symphonique et occidentale.
A ce sujet, ajoute-t-il, la direction artistique s’est jouée en fait à partir des couleurs orientales locales pour se tourner vers des sonorités universelles avec des arrangements symphoniques. Le tout s’est fait avec une large variété d’instruments de musique : le oud, les percussions et à la base le fameux Duduk, le hautbois arménien.
Cadrant avec l’histoire dramatique du film (une vie paisible qui se transforme en un tragique drame; terrorisme religieux qui provoque la spoliation de la foi et de la dignité pour n’entrainer que terreur et souffrance amère dans un chaos ne laissant place ni à la cigarette ni à la musique), le recours au tapis sonore sur lequel se déploie la mélodie du Duduk, a été utilisé pour transmettre une certaine atmosphère où identité locale et musique universelle se marient. Pour donner naissance à un certain bouleversement sinon une émotion, qui touche l’intime : le tourment d’une famille, d’un peuple en quête de paix et de stabilité.
En effet, les sonorités de cet instrument qui rendent conte d’une réalité assez triste, est utilisé au cours des dernières années par les compositeurs de musique de films. La musique pour Duduk, instrument privilégié dans les mariages et funérailles, a été inscrit au patrimoine culturel immatériel de l’Humanité de l’Unesco en 2005 en tant que chef d’oeuvre du patrimoine oral dans les arts traditionnels du spectacle.
Ainsi aux côtés de célèbres joueurs du Duduk dont les artistes arméniens Gevorg Debaghyan ou Vache Sharafyan, s’ajoute sur la liste le Tunisien Amine Bouhafa.
Ayant travaillé sur trois séries télévisées de l’égyptien Adel Adib dans “Bab El Khalkh”, “Place on the Palace” et “Jebel El Halel”, Amine livre une musique bouleversante dont on ne peut rester insensible.
Sofiane El Fani: Timbuktu de Sissako m’a fait découvrir un véritable conteur dont le récit est facile à transmettre en images
Fier de prendre part à ce film tout comme Nadia et Amine, Sofiane El Fani César de la meilleure photographie lors de la 39ème cérémonie des César, est le Chef opérateur de l’image dans “Timbuktu”. Sa rencontre avec Sissako remonte à l’année 2012 lors de sa visite avec Abdellatif Kéchiche à la 24ème édition des Journées Cinématographiques de Carthage. C’est à ce momenbt “qu’est née cette première collaboration dont je suis extrêmement fier” a-t-il ajouté.
Sissako, a-t-il témoigné, dans une déclaration à l’agence TAP est “un grand Homme, plein de talent et d’idées, très diplomate et qui sait raconter de histoires.
J’ai pu découvrir un véritable Conteur. Il sait comment communiquer une atmosphère, une émotion. D’ailleurs, après la lecture du scénario en gestation, le récit est facile à transmettre en images. Les deux prix qu’il vient de remporter, à la veille du Palmarès officiel de Cannes, a-t-il signalé, révèlent “les profondes valeurs artistiques du film qui a eu, d’ailleurs un accueil très chaleureux après sa première projection” a-t-il rappelé.
Sofiane El Fani a travaillé dans “Le fil” de Mehdi Ben Attia (2009), “Vénus noire” d’Abdellatif Kéchiche (2010), et “La vie d’Adèle” d’Abdellatif Kéchiche, Palme d’Or de Cannes 2013. Sur “Timbuktu” (2014), il est accompagné aussi de deux machinistes ou techniciens de plateau : le chef électro Habib Ben Salem et Amine Messadi, deuxième caméra.
Au casting: Abel Jafri dans le rôle principal et Hichem Yaacoubi incarne le Djihadiste
Le casting réunit par ailleurs deux acteurs, Abel Jafri dans le rôle principal de Abdelkarim. Acteur français d’origine tunisienne connu notamment pour avoir tourné dans le film “La Passion du Christ”, il est passé du théâtre au petit écran avant de débarquer sur le grand Ecran en 2001, où il apparaît au cinéma dans “Les Rois Mages” avant de tourner en 2002 dans 3 Zéros puis en 2004 dans “La Passion du Christ”.
En 2006, il est au générique du téléfilm “Harkis” puis joue en 2007 dans le long-métrage “L’autre moitié” de Rolando Colla. En juillet 2013, il est à l’affiche de “Juliette” de Pierre Godeau au côté d’Astrid Bergès avant de rejoindre l’équipe de Timbuktu.
Dans le rôle du Djihadiste dans “Le chagrin des oiseaux”, le tunisien Hichem Yaacoubi a incarné en 2008 le personnage de Reyeb dans le film “Le Prophète” de Jacques Audiard, scénariste et réalisateur français, plusieurs fois récompensé aux César du cinéma et grand prix du jury au Festival de Cannes 2009.
Yaacoubi a joué le rôle du garde arabe dans le film “Munich” de Steven Spielberg en 2005, puis Sélim dans le film “Un enfant en danger” de Jérome Cornuau (2014), la même année où il a été repéré pour “Le Chagrin des oiseaux” d’Abderrahmane Sissako. Une oeuvre qui vient de décrocher deux prix à Cannes, un bon signe pour un film qui a fait beaucoup parler de lui sur la Croisette.
Dernière montée de marches ce soir au grand Palais des Festivals à Cannes et une profonde curiosité sinon une inétanchable soif pour découvrir la Palme d’Or 2014 qui sera annoncée lors du Palmarès officiel de la 67ème édition du Festival de Cannes, dévoilé dans la nuit de ce samedi 24 Mai 2014.