Convoqué par la police, Taoufik Ben Brik décide de ne pas se présenter

Le journaliste et écrivain tunisien Taoufik Ben Brik, a été convoqué par la direction générale des enquêtes de la garde nationale de l’Aouina,  jeudi 15 mai 2014 à 10h, pour une affaire de diffamation.

Taoufik Ben Brik qui a reçu à maintes reprises des convocations de la police a écrit un texte, dans lequel il récite son calvaire. Pour ce dernier appel date de ce 14 mai, l’écrivain a décidé de ne pas y répondre et a déchiré la convocation.

Voici la convocation en question:

La convocation s’est fait attendre. Il y a plus d’une année et demie qu’un sombre syndicat de la police de Béja portait plainte contre moi pour diffamations ; et je ne sais quoi d’autre. J’avais oublié l’affaire, c’était un 6 novembre 2012. Ils traînent mes convocateurs.

Aujourd’hui, mercredi 14 mai 2014, deux costumes noirs sont venus frapper à ma porte, à huit heures tapante. Je n’y étais pas.

Ils ont laissé la convocation chez le concierge. Grosso modo, je suis convoqué par la Direction Générale des Enquêtes de la Garde Nationale à l’Aouina, à me présenter, jeudi 15 mai 2014, à dix heures.

D’instinct, je déchire la convocation, tout décidé à ne pas y répondre. Lecteur du chef d’œuvre La Convocation du Prix Nobel roumain Herta Müller, j’en tire conclusion: n’insistez pas, je suis non-convocable.

Vous comprendrez mieux mon désistement lorsque vous lirez les mieux dires de Herta : « Elle n’entend plus qu’un mot : Convocation.

Depuis son passage à l’usine de confection où elle a glissé un SOS dans la doublure d’un vêtement de luxe qu’elle cousait pour une maison italienne, ils ne la lâchent plus. Chaque semaine, chaque jour, leur rendre des comptes, élaborer des scénarios pour répondre à leurs questions, se justifier, s’entraîner à supporter la douleur, ne pas perdre la tête.

Dans le tramway qui la mène au bureau de la Securitate, où elle a de nouveau été convoquée, la narratrice lutte contre l’angoisse qui la submerge et le sentiment d’humiliation mentale que son tortionnaire va s’ingénier à provoquer. »

Kif-kif, moi-même, je suis un fervent abonné, assidu si vous voulez, aux convocations. Je l’ai décrit dans une lettre à ZABA, publié par Le Monde:

« Ce lundi 3 mai 1999, sans doute pour fêter la journée internationale de la liberté de la presse, un policier en civil me remet une convocation au ministère de l’Intérieur. Je me présente à 15h30 comme on me l’a demandé et je me retrouve seul avec ma cigarette, dans la salle d’attente.

Vers seize heures, comme je proteste et menace de m’en aller, on m’introduit dans un bureau : un agent responsable du procès-verbal, courbé sur sa machine à écrire, et le policier chargé de m’interroger : faciès de professionnel, poings de professionnel. J’avoue que j’ai eu peur !

La méthode de l’interrogatoire n’était pas non plus originale, alternant violences orales et tentatives de m’amadouer. “Tu n’es qu’un Don Quichotte, un lâche, un être immonde, un ingrat !”

Devant mon regard perplexe, face à cette dernière accusation, l’inspecteur s’empresse de préciser : “Oui, tu ne reconnais pas les bienfaits du président Ben Ali !”.

Vient le tour des mots doux: “Tu es le plus grand intellectuel du pays, les plus hauts responsables te respectent.” Et puis à nouveau les insultes : “Tu déformes sciemment la réalité pour nuire à l’image de la Tunisie ! Ta structure mentale est la même que celle des intégristes !”

Et cette phrase caractéristique de la “structure mentale” des policiers : “Vous, les intellectuels, vous nous considérez comme des ignorants alors que nous avons de la culture !” Mais là n’était pas l’essentiel de l’interrogatoire : le fonctionnaire qui s’occupait de moi voulait à tout prix me faire reconnaître ma mauvaise foi.

C’est abusivement que j’aurais accusé la police d’avoir fait disparaître une page de mon passeport, le volant de ma voiture se serait arraché tout seul et toutes les formes d’harcèlement que j’ai subies auraient été le fruit de mon imagination.

L’affaire de mon passeport, m’affirme-t-on, était tout à fait ordinaire et aurait pu facilement être résolu n’eût été mon obstination à compliquer les choses les plus simples.

On me reproche aussi de ne pas garder le silence et de donner des interviews. Confronté à ce discours obsessionnel durant quatre heures.

J’ n’ai pas trouvé d’autres façons de me protéger que me recroqueviller sur moi-même. Je n’avais qu’une seule réponse : “Je n’ai rien à dire, je ne signerai pas le procès-verbal.” Car c’était là le but de l’opération.

Il ne s’agissait pas simplement de m’intimider mais également de m’arracher une signature au bas d’un document dans lequel le policier formulait les questions et les réponses. A vingt heures, je quitte les locaux de la police, j’allume une cigarette. Dans ma tête, le film de série B continue.” (…)

Vous comprendrez bien, ma chère police, que je ne suis plus un candidat à la convocation. Une façon de vous dire, vous m’aurez peut-être mais je ne vous aurai pas aidés. Je ne me rends pas. Venez me prendre. Arrête-moi si tu peux.