Le thème de la révolution est quasiment-présent dans les textes romanesques primés lors de la 18ème édition des Prix littéraires Comar: une thématique qui rappelle les années de la résistance contre le colonialisme mais aussi l’éclatement du conflit entre la gauche tunisienne et les mouvements islamistes. Voici un bref aperçu des six romans primés du Comar 2014:
Comar d’Or pour le roman en français:
“Je suis né huit fois” de Saber Mansouri (Editions Seuil, Paris 2013) : c’est un roman d’apprentissage qui invite le lecteur à suivre l’itinéraire capricieux mais aussi entêté de Massyre, tour à tour éleveur et suiveur de chèvres, amateur de D’Helix aperta, fripier, vendeur à la criée, enseignant d’histoire et enfin chercheur partant à la rencontre de l’aventure parisienne, défiant le maktoub familial. C’est un roman lié à un lieu: la montagne blanche emblématique du nord-ouest tunisien mais aussi d’un pays, la Tunisie moderne dont l’histoire complexe et attendrissante à la fois est retracée par un historien dont la mémoire défaillante et sélective assume pleinement une satire désabusée et joyeusement lucide.
Comar d’Or pour le roman arabe :
“Diwan el-Mawajii” (Recueil des douleurs): les événements se déroulent dans une ville du sud tunisien “El Janoubia”. C’est l’histoire d’une famille fortunée de Abbes Amayri qui est devenu après une expérience étrange, un Saint. Un mausolée portant son nom “Sidi Abbes” est construit près de sa tombe. L’auteur décrit le parcours de cette famille tout au long des générations qui s’en suivent. Tout commence à la période coloniale et s’arrête avec la révolution populaire. L’auteur livre aux lecteurs certains épisodes de l’histoire de la Tunisie évoquant notamment le conflit entre Bourguiba et Ben Youssef. Parallèlement, il raconte l’histoire des neveux de Sidi Abbes, la nouvelle génération qui a vécu sous le régime de Ben Ali. Le roman porte également un regard sur les affrontements dans les universités entre la Gauche et le mouvement islamiste…
Prix spécial du jury pour le roman en français
“D.A.B.D.A” de Khaoula Hosni (Editions Sahar, Tunisie 2014): ce livre est à la fois un roman d’amour, un thriller et une interrogation sur les frontières entre la vie et la mort, la raison et la démence. Ecrit comme un scénario, la force du texte tient aux multiples effets de suspense, de rebondissements et de surprises qui rappellent par certains égards les techniques chères aux synopsis américains. Aidan Collins contrairement au fou schizophrène qui aurait tué ses propres parents qu’on nous présente au début du roman, se révèle un être doué de pouvoir supérieur lui permettant de voir et de communiquer avec des spectres et des fantômes. Le roman explore, c’est aussi sa force, les différentes facettes de l’amour et son pouvoir libérateur; fraternel, paternel, maternel, il est une force salvatrice qui transcende la mort.
Prix spécial du jury pour le roman en langue arabe
“El Béki” (ce qui reste) de Amna Rmili Oueslati : le livre raconte l’histoire d’un couple. Selma, la poétesse, et Brahim le journaliste et rédacteur en chef du journal “hadatha wa yahdoth” (ce qui se passe et ce qui s’est passé). Ce qui les unit, Nadia, leur amie commune. Tous les trois ont vécu les affrontements à l’université entre la gauche et le mouvement islamiste. Brahim a changé au fil des années. Ce n’est plus ce gauchiste qui a souffert des tortures dans la prison. En essayant de construire une nouvelle vie, il considère son passé comme une période de jeunesse. Contrairement à lui, Selma demeure attachée à ses opinions et refuse tout changement. Le couple se trouve dans une véritable impasse. Un drame ou une tragédie commence après le décès de leur fille Amal, fruit de leur grand amour. Leur vie de couple bascule. Chacun se confesse à Nadia, qui s’avère être amoureuse de Brahim depuis qu’ils étaient étudiants.
Prix Découverte pour le roman en langue française
“Le destin apprivoisé” de Néjib Turki (La Maghrébine pour l’impression et la publication du livre, Tunisie 2014): l’histoire du couple mixte fraîchement installé à Kasserine: Doriane la blonde, objet de tous le désirs et Samir, l’alcoolique et celle d’un combat avec un destin cruel qui leur impose la stérilité et le désarroi. Luttant contre la violence, les rancunes accumulées, les appétits démoniaques des uns et des autres, l’arrivée providentielle d’Elie inaugure la marche vers le bonheur et la possibilité de conjurer les caprices du destin. Le roman est aussi une lecture cruelle du couple: duo tragique nécessairement conflictuel chez qui l’amour bute constamment contre la violence.
Prix Découverte pour le roman en langue arabe
“Bab el Bahr” de Fethi Jmaiel : l’auteur retrouve des notes écrites dans la chambre n°28. Il semble que ces textes soient rédigés dans la précipitation par un étudiant. L’auteur les regroupe, les réécrit pour en faire une publication. Ces confidences écrites déclinent des portraits de personnages au féminin, et de tout genre: de la petite élève Asma, son premier amour, jusqu’à l’étudiante voilée originaire du Sud qui fait tout pour le séduire en passant par Boutheina, Thouraya, Jamila, Hadhami et une russe du nom de “Iva”. Le lien commun entre ces petites histoires, est l’état d’âme de leur auteur. Il s’agirait d’un homme vivant des moments d’angoisse: une condamnation ou une mort le guette.
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