Il est étonnant que ceux-là même qui ont axé leurs campagnes électorales sur la lutte contre la corruption, les malversations, les passe-droits et le népotisme soient les premiers à faire fi des valeurs du respect de la loi et de sa suprématie et surtout celles du respect des droits d’autrui !
Un exemple plus qu’édifiant, celui de la mainmise d’une famille ou plutôt, pour user d’une terminologie plus adaptée en la matière, celle italienne en la matière «una Famiglia». Les Sfaxiens qui ne se sont pas encore remis de la mainmise de la famille omnipotente M.M et fils à la fin 2009 – début 2010, qui se sont appropriés la concession des horodateurs destinés à recevoir l’oseille des conducteurs de voitures qui se garent dans les zones bleues, privant les caisses des collectivités locales de sommes conséquentes, se retrouvent aujourd’hui devant une autre affaire d’appropriation illégitime légalisée par les autorités de l’après-14 janvier, passant de détaillants dans la vente des boissons alcoolisés à des distributeurs en gros !
Ce n’est pas de la fiction et, de toutes les manières, il en est ainsi lorsque pouvoir et argent se rejoignent dans une liaison toujours perverse nourrie par l’opportunisme des uns et la vénalité des autres…
La famille M.M a pu obtenir la concession en signant un contrat d’une durée de 30 ans. La somme annuelle qui devait être versée à la municipalité tout au long des trois décennies était plus que dérisoire sans oublier les manquements légaux à toutes les règles et procédures…
La concession accordée à «la Famiglia» n’aurait respecté aucune règle de concurrence régissant l’attribution des marchés publics. Le projet aurait été, dès le départ, conçu sur-mesure pour un concessionnaire exclusif connu d’avance.
La Famille M.M et fils aurait donc mis en rogne toute une ville révoltée par les transgressions de la loi. Leur arrogance les a incités à badigeonner en bleu les trottoirs du centre-ville de Sfax avant même la signature du contrat et s’autorisant le dépassement des espaces loués: «Rizk Il bilik» (après tout c’est le patrimoine de l’Etat).
La proximité de la famille M.M du pouvoir à l’époque Ben Ali n’a pas changé. Et comme on le dit souvent, les idéalistes font les révolutions et les opportunistes en profitent. Face aux pressions populaires refusant la main mise de la Famiglia sur Sfax, Zine El Abidine Ben Ali ordonne l’abandon du projet!
Tous les mécontents de la mainmise mafieuse de la Famille M.M sur la ville de Sfax se muraient dans un silence presque complice. Même si l’élite qu’il s’agisse de médecins, d’avocats ou de représentants d’associations, ont dénoncé ces pratiques à la cosa nostra malgré la peur des représailles. Tous étaient conscients des conséquences sur eux, leurs familles et leur ville des rapports incestueux entre le pouvoir politique et le pouvoir de l’argent. Ce sont des journaux électroniques qui ont ouvertement dénoncé cette politique mafieuse. Pour la première fois, ce que les Tunisiens lambda pensaient tout bas, les Sfaxiens l’ont crié tout haut, et pour la première fois aussi, le président de la République de l’époque, en l’occurrence Zine El Abdine Ben Ali, s’était plié à la demande populaire et avait donné ses instructions pour abandonner le projet.
Ordre fut donné à la Municipalité de Sfax de résilier ce contrat et de dédommager la famille trop gourmande. Chose faite en un temps record et sur le compte des finances publiques locales, puisque la Municipalité de Sfax s’est trouvée obligée de contracter un emprunt de l’ordre de trois milliards et demi versés à cette famille en contrepartie d’un tas de ferraille, nonobstant l’échange avec elle d’un terrain appartenant à la Municipalité situé dans une zone prévue par le plan d’aménagement de la ville destiné à des “projets culturels“ avant que sa vocation ne soit modifiée pour devenir magiquement “à usage d’habitation et de commerce“ puis attribué aux fils M.M.
Le budget de la Municipalité de Sfax croule jusqu’au jour d’aujourd’hui sous le poids de cet emprunt faramineux qu’il faut rembourser, et continuera à en souffrir durant les années à venir. De mémoire de Sfaxiens, on n’aurait jamais vu une famille aussi puissante, capable de mettre à genoux la puissance publique et avec autant d’effronterie et une telle capacité de nuisance.
Post-14 janvier, mêmes pratiques, mêmes mœurs…
Malgré toutes les campagnes anti-corruption menées tous azimuts après le 14 janvier 2011 à l’encontre de tous ceux qui ont versé dans les malversations et la corruption, famille M.M et compagnie, les mêmes scénarios ont été de nouveau réadaptés à l’ère du temps mais avec des metteurs en scène différents…
Ainsi, trois hauts fonctionnaires de l’État ont été arrêtés ainsi que l’un des fils de M.M alors que l’autre a pris la fuite.
Le premier juge d’instruction auprès du Tribunal de première instance de Sfax a conclu, au bout de son enquête, à l’existence de preuves suffisantes pour l’inculpation des trois premiers accusés, pour les crimes prévus par l’article 96 du Code pénal passibles d’une peine d’emprisonnement de dix ans, et des deux fils M.M pour complicité. Cette décision a été confirmée par la Chambre d’accusation auprès de la Cour d’appel de Sfax avant que les prévenus ne se pourvoient en cassation pour demander que cette décision soit cassée et l’affaire renvoyée non pas devant la Chambre d’accusation auprès de la Cour d’Appel de Sfax, comme il est d’usage, mais devant celle de la Cour d’Appel de Tunis. Leur vœu fut exaucé. Et lorsque l’affaire fut examinée de nouveau par la Chambre d’accusation auprès de la Cour d’Appel de Tunis, cette dernière a décidé avec son bâton magique de les blanchir et a ordonné leur remise en liberté.
A l’époque, il y avait un nouveau gouvernement, un ministre de la Justice très controversé et des décisions de justices pas très indépendantes. Toute la bande a été blanchie et ce malgré le travail colossal et minutieux accompli par le juge d’instruction pour dévoiler et mettre en lumière la réalité des liens crapuleux que les fils M.M ont tissé avec de hauts fonctionnaires de l’État pour les corrompre.
Tous ceux qui ont eu l’occasion de consulter ce dossier criminel, ont pu, avec horreur, prendre la mesure de la capacité de nuisance de la Famiglia, doublée d’un pouvoir extraordinaire d’atteindre les plus hauts responsables de l’État et d’obtenir d’eux des avantages inaccessibles au commun des mortels. Quand on ne peut pas corrompre avec un peu d’argent, on peut le faire avec beaucoup d’argent. Malheureusement, tout est achetable… en l’absence de fortes institutions et d’absence d’organes de contrôle efficace et avec pouvoir de sanction…