L’année 2014 semble porter chance au dinar tunisien après une série de dépréciations face à l’euro et au dollar américain (USD).
L’appréciation de la devise tunisienne s’est poursuivie pour se situer à 3,8% par rapport à l’euro et à 2,7% par rapport au dollar américain et elle s’est changée, jusqu’au 10 février 2014, à 2,1732 face à l’euro et à 1,5940 face au dollar US.
Cette appréciation intervient après une année catastrophique marquée par des dépréciations successives, dont celle de plus bas niveau a été enregistrée, durant les deux derniers mois de 2013, ou le dinar tunisien s’est échangé à 1,6830 contre le dollar US et 2,3024 contre l’euro.
Par rapport à fin 2012, la devise tunisienne a enregistré, au terme de l’année 2013, un recul de 9,7% face à l’euro et de 5,8 face au dollar US.
Certains experts estiment que cette appréciation est un signal positif qui illustre une reprise de la dynamique économique en Tunisie, notamment, après l’adoption de la nouvelle constitution du pays et l’installation d’un nouveau gouvernement de technocrates.
Or, d’autres ne voient en cette ascension du dinar tunisien qu’une amélioration conjoncturelle, boostée par les autorités monétaires du pays pour “véhiculer un message politique visant à rassurer les investisseurs et les partenaires économiques du pays”.
Raisons derrière l’appréciation du dinar tunisien
L’universitaire et spécialiste en économie monétaire, Moez Laâbidi a expliqué cette ascension du dinar tunisien, notamment, à partir de la deuxième quinzaine de janvier 2014, par l’adoption de la nouvelle Constitution et le vote de confiance accordé par l’Assemblée Nationale Constituante (ANC) au nouveau Gouvernement.
Il a déclaré que ces donnes ont inversé les perspectives de l’économie tunisienne et ont mis fin au flou institutionnel qui a plombé le climat des affaires pendant trois ans.
“Il y a aussi le changement de position des bailleurs de fonds étrangers, qui ont fini par desserrer leurs restrictions sur le financement de l’économie tunisienne”, a-t-il encore témoigné.
Pour preuve, le Fonds monétaire international (FMI), n’a pas tardé à débloquer la deuxième tranche de son prêt Stand- by, le mercredi 29 janvier, quelques heures après l’intronisation d’un nouveau gouvernement dirigé par Mehdi Jomaâ.
Le Conseil d’administration du FMI a approuvé le déboursement de 506,7 millions de dollars en faveur de la Tunisie, permettant ainsi au pays de sortir, ne serait ce que provisoirement, de l’impasse financière.
Selon M. Laâbidi, les dernières opérations sécuritaires qui ont réussi à neutraliser les assassins de deux figures de l’opposition, Chokri Belaid et de Mohamed Brahmi, ont aussi renforcé le climat de confiance, et bien évidemment, contribué à l’appréciation de la devise tunisienne.
Un autre facteur a favorisé cette ascension, d’après l’économiste, soit, “le professionnalisme avec lequel, la BCT a agit pour gérer le taux de change du dinar, dans cette conjoncture très hostile”, à travers la circulaire sur les comptes professionnels en devises et le recours à des opérations de “devises”, qui ont permis à la banque centrale de renforcer ces réserves de change, a expliqué l’économiste.
Une appréciation qui ne peut durer à long terme
A contrario, l’expert et président du mouvement tunisien “Action et développement solidaires”, Radhi Meddeb a indiqué que “la structure actuelle de l’économie tunisienne ne peut, en aucun cas, favoriser une ascension durable de la devise nationale”.
L’expert estime que le niveau de l’inflation en Tunisie est très élevé par rapport à l’Europe, premier partenaire économique et commercial de la Tunisie, faisant remarquer que la balance des paiements enregistre un déficit structurel et “nos besoins en devises se sont amplifiés depuis la révolution s’ajoutant ainsi aux soucis du pays concernant le blocage et la régression du rendement des secteurs stratégiques du tourisme et des phosphates”.
D’après lui, l’appréciation du dinar tunisien ne peut durer à moyen où à long termes vu que cette hausse est contre la tendance du marché et ne reflète pas les indicateurs de l’économie tunisienne.
Meddeb est allé jusqu’à dire que cette ascension est “un message politique par lequel, les planificateurs de la politique monétaire veulent rassurer les partenaires de la Tunisie”.
Ce changement de la valeur du dinar par rapport aux devises étrangères est provoqué, dans un certain sens, par la BCT qui a la prérogative exclusive de maitriser et de fixer le taux de change par rapport aux devises étrangères, a-t-il dit, et ce, en tenant compte de plusieurs facteurs (variation des principales devises étrangères, état de la balance des paiements en Tunisie par rapport à d’autres pays ).
M. Meddeb, a ajouté que ces facteurs interviennent pour fixer le prix du dinar à moyen terme (quelques mois).
Impact, tantôt positif, tantôt négatif, de l’appréciation du dinar tunisien sur l’économie nationale
Radhi Meddeb a relevé “qu’on ne peut parler d’impact de cette tendance haussière du dinar sur l’économie sauf si elle perdure, au moins trois mois”.
Cependant, Moez Laâbidi, considère que ce nouveau cycle haussier du dinar pourrait affecter la compétitivité des entreprises exportatrices.
“Ces entreprises vont se retrouver face à un dilemme, soit augmenter leur prix en devise étrangère pour garder le même prix de vente en dinar, et courir le risque d’être évincées du marché international, soit maintenir le même prix en devise étrangère et grignoter sur leurs marges bénéficiaires afin de rester leur marché”, a expliqué l’universitaire.
Pour les entreprises importatrices, l’appréciation du dinar représente une bonne nouvelle, puisqu’elle allège la facture des matières premières et des produits semi-finis importés.
Elle peut aussi (appréciation du dinar), amener, d’après M. Laâbidi, les entreprises importatrices à répercuter le gain de change sur le prix de vente de leurs produits.
“C’est dire, le gain de change généré par l’allègement de leur facture d’importation, offre aux importateurs tunisiens la possibilité de baisse leurs prix de vente sur le marché local. D’où un effet positif sur l’inflation”, a-t-il développé.
Pour les ménages, l’appréciation du dinar par rapport à l’euro et au dollar américain, représente une bonne nouvelle, dans la mesure où cette appréciation va limiter les effets dévastateurs de l’inflation importée et du coup, elle aura un effet bénéfique sur le pouvoir d’achat des citoyens.
Pour l’Etat, elle est bénéfique à deux niveaux, estime l’économiste.
D’une part, elle apaise la facture de la compensation du blé et des hydrocarbures, puisque ces produits de base sont cotés en dollars sur le marché mondial.
Pour rappel, une baisse de 1 dollar dans le prix du baril de pétrole génère une économie de 40 millions de dinars.
Pour ce qui est des dépenses d’hydrocarbure, M. Laâbidi a fait savoir que le budget de l’Etat se retrouve aujourd’hui dans une situation favorable puisque le budget a été établi sur la base d’un baril de 110 dollars, alors que le baril de brent se négocie, cette semaine (mi-férvrier 2014), autour de 106 dollars.
Toujours au rayon des avantages de cette appréciation de la devise nationale, M. Laâbidi a évoqué son effet sur la limitation de la charge du service de la dette.
“Toute baisse de l’euro et du dollar aura un effet bénéfique sur le service de la dette et sur le montant de la dette”, a- t-il dit, rappelant qu’au niveau de la monnaie européenne, la baisse de 10 millimes par euro allège la charge du service de la dette de 4,43 millions de dinars et allège le montant de la dette de 59 millions de dinars.
Pour le billet vert, la baisse de 10 millimes par dollar allège la charge du service de la dette de 1,72 millions de dinars et allège le montant de la dette de 48 millions de dinars.
Pour ce qui est des investisseurs étrangers (Investissements directs étrangers,IDE, et investissements de portefeuilles) l’appréciation du dinar ou même la stabilité du dinar pourrait les amener pour orienter leurs capitaux vers la Tunisie.
Un message rassurant pour les investisseurs
Les experts s’accordent à dire que les investisseurs sont très sensibles à la stabilité de la monnaie du pays d’accueil car une telle stabilité leur permet d’éviter le risque de change lors des opérations de rapatriement de leurs bénéfices.
Toutefois, Moez Laâbidi estime qu’il “ne faut pas trop compter sur les IDE, surtout les nouveaux, car l’année 2014 serait une année électorale et par conséquent c’est l’attentisme qui va dominer leur comportement”.
L’ascension du dinar pourrait aussi déstabiliser les anticipations des spéculateurs et des acteurs du marché parallèle de devises, selon ce spécialiste de l’économie monétaire.