Le Journal officiel en date du 24 janvier 2014 vient de publier un décret du 7 janvier 2014 de l’ancien chef du gouvernement Ali Larayedh, fixant les modalités d’enregistrement et de dépôt légal des publications.
Le décret en question vise, selon les spécifications de son article 2, à organiser la collecte et l’archivage de toutes les publications destinées au public, qu’elles soient périodiques ou pas.
Il a également pour objectif déclaré d’assurer la conservation, la sauvegarde et le suivi de la production intellectuelle, littéraire et artistique, de préserver la mémoire nationale et de garantir la disponibilité des publications en questions à l’usage du public.
Il fait partie des textes d’application du décret-loi 115 relatif à la liberté de presse, d’impression et d’édition, notamment les dispositions relatives au dépôt légal telles que fixées par les articles 4, 5, 19 et 22 de ce texte de loi. Certaines dispositions du nouveau décret ont néanmoins suscité des critiques de la part d’un certain nombre d’acteurs du secteur de la presse, de l’imprimerie et de l’édition, lesquels ont demandé sa modification.
La présidente du syndicat des directeurs d’entreprises de presse, Amel Mzabi, a ainsi considéré que le décret en question est d’autant plus malvenu qu’il est un texte d’application du décret-loi 115 à propos duquel le syndicat avait émis des réserves. Pour elle, il est nécessaire d’amender le décret-loi 115, en particulier le volet relatif au dépôt légal.
Le dépôt légal des publications, a-t-elle estimé, doit se faire non pas auprès du Premier ministère mais au Centre de documentation nationale, contrairement aux prescriptions du décret-loi et du décret. « Le problème réside dans le décret-loi plutôt que dans le décret d’application », a-t-elle tenu à préciser.
De son côté, le directeur du CAPJC (Centre africain de perfectionnement des journalistes et communicateurs), Abdelkrim Hizaoui, a attiré l’attention sur le fait que la polémique qui avait accompagné la publication de ce décret « s’explique par la crainte de voir le dépôt légal utilisé comme moyen déguisé de censure à priori des périodiques ». Pour autant, il considère que la publication du décret est « une bonne chose en soi » dans la mesure où elle s’inscrit dans le cadre de l’activation des décrets-lois 115 et 116 tant réclamée par les professionnels.
« Ce texte va organiser l’opération de dépôt légal et mettre ainsi fin au vide juridique en la matière, laquelle avait révélé des lacunes difficiles à combler dans les collections de périodiques de la Bibliothèque nationale et du Centre de documentation nationale », a-t- il dit.
Il attribue en outre le vide juridique en question à la décision prise en 2006 sous l’ancien régime, portant suppression du dépôt légal sous le prétexte fallacieux d’abolir la censure. Il a rappelé qu’en cette période les Tunisiens réclamaient la suppression de la censure et non du dépôt légal, compte tenu de la fonction mémorielle de ce dernier.
C’est pourquoi, ajoute-t-il, nous saluons le retour au dépôt légal, d’autant que nous sommes aujourd’hui dans un environnement législatif nouveau, à même d’empêcher tout risque de glissement du dépôt légal vers la censure préalable, comme c’était le cas sous l’ancien régime. Par ailleurs, explique-t-il, l’article 30 de la Constitution interdit la censure des publications et le décret-loi 115 définit le dépôt légal en des termes si précis qu’ils empêchent toute marge d’interprétation, encore moins son éventuel dévoiement. Hizaoui plaide par contre, pour la révision du point relatif au dépôt légal avant la distribution, arguant que nulle mention n’est faite de cette condition dans le décret-loi 115.
Pour l’éditeur et ancien président de l’Union des éditeurs tunisiens, Nouri Abid, « tous les éditeurs sont unanimes à considérer que le dépôt légal ne peut en aucun cas servir de mécanisme de censure à priori des publications ». Il a souligné la nécessité de faire en sorte que le dépôt légal soit « une simple formalité administrative non assortie de conditions ni à priori ni à posteriori ».
Pour autant, il qualifie « d’anticonstitutionnel », le décret de la présidence du gouvernement au motif que la condition de « dépôt avant la distribution » s’apparente à une « censure à priori » désormais interdite par la nouvelle Constitution. De son coté, le président de l’Union des écrivains tunisiens, Mohamed Bédoui, estime que le dépôt légal des périodiques constitue tout au plus « un acte de routine indispensable », car utile à la protection de la mémoire nationale et à « la conservation de tout ce que produisent les plumes tunisiennes ».
Au cas où le contenu d’une publication porte atteinte au sacré où autre, c’est à la justice de trancher, a-t-il soutenu. Pour Bédoui, c’est à l’auteur d’assumer toute sa responsabilité et de défendre son travail, ajoutant qu’aucune administration n’a le droit de décider d’interdire une oeuvre quelconque. Le dépôt légal doit se faire parallèlement à la distribution, a-t-il préconisé. Le conseiller chargé de la communication auprès du chef du gouvernement Abdessalem Zbidi a expliqué à la TAP que le décret n°59 de 2014 concerne, uniquement le dépôt légal des publications auprès du premier ministère avant leur distribution.
L’objectif étant de remettre des exemplaires à la bibliothèque nationale et au centre national de documentation. « Il n’existe aucune forme de contrôle sur les publications littéraires et artistiques destinées au public » a-t-il insisté.
Le décret, a rappelé Zbidi, a été promulgué en août dernier après concertation entre syndicats et institutions publiques concernées, ajoutant que la porte reste ouverte au dialogue pour revoir certains points.