Longtemps prisés par les touristes qui se font de plus en plus rares dans les souks de la Tunisie, le tapis et le margoum tunisiens peinent à trouver des acheteurs.
Le secteur, fortement lié au tourisme, subit les contrecoups de la perte de vitesse dans ce domaine, malmené par une transition politique difficile.
Face à cette situation, les professionnels se tournent davantage vers le marché local en espérant y trouver de nouveaux débouchés.
Le salon du tapis, du tissage ras et des fibres végétales qui se tient du 13 au 22 décembre 2013, au Palais des Expositions du Kram, leur offrent l’occasion de cibler une nouvelle clientèle.
Venant exposer tapis, margoum et klim dans le cadre de ce salon, artisanes et commerçants n’ont pas caché à l’agence TAP, leurs inquiétudes face aux problèmes d’écoulement rencontrés ces derniers temps et la baisse de leur chiffre d’affaires.
Tapis et tissage: une production en chute libre
Pour Mekki (55 ans), commerçant de tapis traditionnels de Kairouan, l’exposition de ses tapis dans les foires et salons constitue la seule alternative pour écouler ses marchandises, face à la baisse du nombre des touristes.
“Mes ventes ont baissé à hauteur de 80%. De même pour le volume de production, qui est passé de 100 tapis tous les 2 mois, à 20 tapis seulement”, a regretté ce professionnel qui exerce depuis environ 30 ans.
“Nous sommes également, confrontés à une hausse des prix des matières premières, telle que la laine, dont le coût est passé de 5 dinars/kg auparavant à 8 dinars/kg actuellement et celui (le prix) de la main d’uvre porté de 5,5 dinars par jour à 11 dinars par jour actuellement”, a-t-il dit.
Cette hausse des prix des matières premières a engendré automatiquement une augmentation des prix des tapis fait main, dont le m2 oscille entre 50 et 500 dinars.
Selon Mekki, le tissage de tapis est, aujourd’hui, menacé de disparition, face à la réticence des jeunes filles à l’exercer. Elles préfèrent poursuivre leurs études et aller travailler ailleurs, moyennant des rémunérations plus élevées par rapport à ce qu’elle reçoivent en tissant les tapis.
Revenant sur les raisons de la régression des ventes des tapis berbères après la révolution du 17 décembre 2010-14 janvier 2013, l’artisan Imem Harmassi, qui exerce ce métier depuis longtemps à Feriana (gouvernorat de Kasserine), estime qu’elle est due à la crise politique et son corollaire la crise économique.
“Auparavant, je produisais 800m2 par mois, alors qu’aujourd’hui, je ne parviens même pas à produire 50 m2”, a ajouté cet artisan de 70 ans spécialisé dans les tapis berbère. Le prix d’un m2 de tapis berbère est estimé, cette année, à 70 dinars contre 50 dinars maximum auparavant, a-il fait savoir.
La perte de vitesse que connaît le secteur depuis la révolution n’a pas épargné la Société Amamou, entreprise établie, pourtant, dans la capitale.
“Depuis la révolution, la société enchaine les pertes. On a essayé de se rattraper en s’orientant vers le marché local, mais on est loin des réalisations précédentes”, a affirmé son dirigeant Nourredine Amamou.
La société a été contrainte de fermer ses plusieurs centres de tissage dans le gouvernorat de Nabeul. Ces centres, répartis sur les différents villages, n’emploient actuellement que 100 artisanes contre 800 auparavant.
Dalila Youssefi, artisane originaire de Sidi Bouzid a pris place au stand de l’Office nationale de l’artisanat où elle a installé sa “machine à tisser” le Klim.
Cette femme de 48 ans fait ce métier à domicile depuis 20 ans. Pour elle, l’étape la plus difficile est toujours celle de la vente de ses oeuvres.
“Mes ventes sont limitées à quelques commandes que je reçois par l’intermédiaire de l’ONAT de Sidi Bouzid et à la clientèle de la foire”, a-t-elle déclaré.
“Je passe toute l’année à tisser mes Klims et Hayeks, pour les exposer, en fin, à ce salon national du tapis”, a-t-elle poursuivi.
Sameh Mâaoui, 32 ans, spécialisée dans le tissage de Margoum de Ouedhref (gouvernorat de Gabès) affirme qu’elle a appris ce métier de sa mère.
Elle aussi travaille pour son propre compte, mais en collaboration avec une équipe d’artisanes de sa région, qui exercent chez elles.
“A Ouedhref le tissage du Margoum a toujours eu le vent en poupe”, dit-elle, précisant que les artisans font même preuve de plus de créativité sur le plan du désign, mais demeurent bloqués au niveau de la commercialisation.
“J’ai toujours du mal à trouver des débouchés pour vendre mes produits, d’autant plus que je suis appelée à rémunérer mes collaboratrices”, a déclaré la jeune femme.
Pourtant, le tissage ras n’est pas boudé à cause de la concurrence du tapis synthétique, qui ne peut rivaliser avec le produit artisanal, d’après Sameh, mais, plutôt en raison de la baisse du nombre de touristes et l’absence de promotion.
Pour sa part, Dalila Abdallah Mansour Zayen (34 ans), s’est dite mécontente de l’absence d’incitations de la part de l’ONAT.
“J’attends impatiemment ce salon, qui constitue, pour moi, une opportunité pour écouler mes produits et j’ai demandé à l’ONAT de me faire bénéficier d’un stand gratuit mais sans succès”, a-t-elle avancé avec regrets.
Titulaire du premier prix de la création artisanale en 2010, Dalila qui est originaire de Gabès, s’est sentie “lésée” parcequ’elle n’a pas pu participer gratuitement au salon.
“A cause de mes difficultés financières, j’ai du demander à mon frère de l’argent pour payer les frais de participation (800 dinars pour la location du stand, 200 dinars pour les frais de logement et autant pour le transport), a raconté cette jeune femme diplomée, mais en chômage depuis 2000.
“Malgré ces difficultés, j’ai tenu bon à participer au salon, car si je ne vends pas mes Margoums, leur qualité risque de se dégrader, étant donné que je ne dispose pas d’un espace convenable pour leur stockage”, a-t-elle expliqué.
D’après des chiffres de l’ONAT, la filière du tapis et du tissage ras compte, jusqu’à 2009, 11000 artisans, soit 70% du nombre total des artisans.
Pour certains artisans du métier de tissage, les difficultés par lesquelles passe la filière ne sont que conjoncturelles.
Mais, pour d’autres, il ne s’agit pas seulement de chercher des circuits pour vendre un produit traditionnel, il est aussi question de sauvegarder un héritage précieux qui fait partie de notre identité et d’assurer sa pérennité en l’adaptant aux exigences de la modernité.