Il est apparu au milieu de la foule sous le halo d’un projecteur, venu de nulle part. Le maître de la musique électronique, le français Jean Michel Jarre dans son costume noir, tel un cosmonaute naufragé du ciel, sautillait hier soir au beau milieu d’un public fiévreux qui essayait de le toucher, d’immortaliser l’instant par la photo.
Un projecteur-poursuite le dirigea jusqu’à la scène où son dispositif instrumental prend la forme d’un vaisseau spatial prêt à décoller. Aucun décor sauf un revêtement du sol par des tapis typiquement tunisiens, où sont installés ses quatre musiciens: batteur, arrangeur, synchroniseur et synthétiseur aux cordes.
Jean Michel Jarre, le dramaturge du son, le maître des lumières a plongé Carthage, site et monuments, dans le noir. 22Heures tapante, les retardataires avaient du mal à trouver le chemin des gradins. Les policiers, nerfs à vifs, se demandaient comment pouvoir assurer la sécurité dans ce trou noir qu’est devenu l’amphithéâtre.
Aux premiers décibels, les lumières fusent, jaillissent et envahissent les lieux. Des faisceaux s’élancent vers le ciel, rejoindre ou déranger la quiétude de quelques étoiles. A se demander d’ailleurs: Les aiguilleurs du ciel ont-t-ils prévenu les pilotes de ligne qu’un corps lumineux pourrait croiser leur route?
Des doigts de Jean Michel Jarre, naissent les rythmes, et prend forme une musique magnétique aux tonalités tantôt reposante et relaxante, tantôt dynamique mettant le public sur orbite. Illusionniste, il dessinait par le biais de la lumière en trois D des structures et des formes architecturales. Sur scène, tout lui servait de réflecteur à des rayons de lumière: les instruments, les arbres, les colonnes de l’amphithéâtre, le minaret de la mosquée et même les têtes qui tournent, jouent le jeu et participent inconsciemment à une scénographie ingénieuse.
Carthage est devenue le temps d’un concert, hors du temps, une boule scintillante. Impossible de se retenir et lutter contre les pulsions de la fête et de la joie. Bissé fortement et avec persistance, Jean Michel Jarre “heureux et fier” de se trouver “Là et Maintenant” insiste-t-il, l’a bien compris “La Tunisie est bien vivante”.
“La soirée sera celle de la dignité, de l’espérance et de la musique” a-t-il balancé avant d’entamer son spectacle en Tunisie et sur le site de Carthage, “son rêve d’enfant”, a expliqué l’artiste, l’ambassadeur de bonne volonté de l’Unesco depuis une vingtaine d’années. Offrant une parfaite osmose entre musiques atmosphériques et images d’une fiction numérisée et d’une réalité documentarisée, Jean Michel Jarre a emporté son public cosmopolite vers un monde où le non retour qui semble irréel demeure cependant un rêve partagé.
A l’âge de 65 ans, Jean Michel Jarre, comme un électron sur scène, a été pour l’assistance “Phénoménal, exceptionnel, spectaculaire”. C’est ainsi qu’ils se sont exprimés, soit par les mots, les regards, ou les larmes aux yeux, quant le visiteur et les hôtes de Carthage se sont partagés, au rythme d’une musique mélancolique, un moment solennel et magique: brandissant leurs portables, ils voulaient, transmettre au monde entier, l’image d’un pays merveilleux et d’un peuple pacifique… mais aussi un message de paix et de tolérance.
Atomisant les conventions théâtrales, musicales et chorégraphiques, le spectacle est basé sur des scènes textuelles, des images soutenues par le son et la densité des lumières. Des images qui se dressent pour nous rappeler : la nature se décompose mais rien ne se perd tout se transforme. Loin du rien, du non jeu et de toute forme de représentation mimétique, les mots sont hurlés et criés pour pénétrer tout simplement par la magie du son et la puissance du mouvement. Dans ce récit de fiction-réalité, la forme impose sa force nue: ce ne sont plus des corps qui bougent mais plutôt des électrons qui naviguent dans tous les sens pour dire que tôt ou tard, le pardon aux intrus est interdit. Virtuose d’effets illusionnistes, de chuchotements, où le regard et l’ouïe s’enfoncent comme dans le trou profond d’un oeilleton, Jean Michel Jarre avait lancé à sa manière le cri de révolte “Carthage”.
Sur le site de Carthage, l’art a installé son mot d’ordre: c’est la musique qui ritualise, adoucit et humanise. Il a joué pour la femme tunisienne “Samira, Dalila, Malika…”, qu’il a croisées lors de sa visite au village SOS Gammarth. Parrain de l’un des enfants de ce village, il a dédié sa musique aux enfants d’aujourd’hui, aux Hommes de Demain. Un dédicace propre à lui: “Education, Education et Education”, avant de dédier son célèbre et vieux morceau “Oxygène” à tous les Tunisiens.
Sonder l’inconscient sur scène, c’est ce qui fait de lui le maître et le génie, Jean Michel Jarre, l’illusionniste mais aussi le visionnaire a emporté son public vers un dialogue avec l’autre, l’invitant ainsi à “comprendre ce qui se passe dans la tête des Hommes et le monde vers lequel nous allons”. En cette soirée du 12 août 2013, Carthage se souviendra certainement de lui, l’artiste… et l’Ami du Pays, qui a choisi de clôturer sa soirée, enveloppé dans le drapeau tunisien.