Chez les Nationalistes nassériens, les remous n’en finissent pas d’agiter leur bâtisse nouvellement et fragilement construite. Rappelons-nous qu’ils se sont présentés aux élections du 23 octobre divisés sous deux bannières : le Mouvement du Peuple et le Mouvement du Peuple Unioniste Progressiste. La fusion qui s’est opérée par la suie s’est avérée fragile, très fragile, puisque le parti unifié s’est encore scindé en deux. Son secrétaire général, notre invité, a préféré présenter sa démission, et constituer un nouveau parti qui porte le nom de Courant populaire dont le congrès constitutif se tiendra très prochainement et dont il est, actuellement, le coordinateur général, alors que l’autre député nationaliste démissionnaire, Mourad Amdouni, en est le porte-parole.
En fait, les dissensions entre les Nassériens ne datent pas d’aujourd’hui, elles se sont manifestées il y a un bon moment, on en cite, notamment, celle provoquée par l’intégration du gouvernement de la Troïka par quelques figures nationalistes telles que Zouhaier Idoudi et Salem Labiadh, l’actuel ministre de l’éducation nationale, coriacement, défendu par des membres du bureau politique du Mouvement du Peuple, devenus ses nouveaux patrons, pendant que son ex secrétaire général était, carrément, contre son entrée au gouvernement. Pour lui, Labiadh a, historiquement, appartenu au courant nationaliste, mais ne l’est plus actuellement, la preuve c’est qu’il est dans l’autre camp auquel il s’oppose foncièrement. Il est clair que les dirigeants du mouvement du Peuple ne se partagent plus les mêmes conceptions, ni les mêmes jugements, ce climat très tendu rend la cohabitation impossible et précipite le divorce entre eux.
-Le Temps : est-il vrai que vous vous êtes comporté d’une manière unilatérale en annonçant le ralliement du Mouvement du Peuple au Front Populaire?
-M Brahmi : c’est absolument faux ! J’ai, tout simplement, annoncé une décision majoritaire en faveur de la réintégration du Front Populaire, ce qui était un retour au bercail. Pour que vous saisissiez mieux la question, je voudrais revenir un peu en arrière pour rafraîchir certaines mémoires, visiblement, défaillantes. Il faut se rappeler que nous avons participé, en tant que Nationalistes, à la création du Front du 14 Janvier lorsque la situation était hyper difficile ; la première réunion de ce processus s’est tenue le 16 du même mois, c’est-à-dire deux jours seulement après la fuite du président déchu. Cette réunion et celles qui ont suivi étaient organisées, clandestinement, par les militants constituant, aujourd’hui, le Front Populaire. A l’époque, même le Mouvement du Peuple n’était pas encore fondé, on participait en notre qualité de Nassériens sous l’appellation secrète « Mouvement des Unionistes Nassériens ». L’instance de Iyadh Ben Achour nous a divisés et a ébranlé notre édifice, puisque certains l’ont rejointe contrairement à nous et à d’autres militants qui y voyaient un moyen d’étouffement de la Révolution et on était, donc, parmi ceux qui ont refusé son intégration. Nous avons, alors, assumé notre rôle ou plutôt devoir pour remédier à la situation et participé à un dialogue approfondi avec les composantes du Front Populaire pour en élaborer la plateforme politique. Ce qui veut dire que nous sommes une partie authentique dans la constitution de ce Front.
-Quand est apparue, dans votre parti, la polémique relative à l’intégration du Front Populaire?
-C’était lorsque s’est posée la question organisationnelle, c’était là que des réticences ont commencé à se manifester chez quelques membres du Mouvement Populaire. Au départ, nous étions compréhensifs vis-à-vis de cette attitude et avons considéré que c’était tout à fait normal qu’il y ait divergences autour de certaines approches et de positionnement politique, vu que la scène politique était mouvante et qu’elle ne s’est pas encore achevée, et nous nous sommes engagés à respecter la décision émanant de l’instance législative du parti en date du 22 septembre 2012, et ce malgré les circonstances inadmissibles qui ont entouré cette position.
Mais, nous avons poursuivi le dialogue interne à tous les niveaux organisationnels se rapportant au bureau politique, à l’instance législative, aux régions, aux sections, aux sympathisants du Mouvement en constituant la ceinture. Ce dialogue s’est approfondi encore plus après l’assassinat du martyr Chokri Belaïd qui était un grand tournant dans l’histoire du pays, ce qui a entraîné la nécessité de trancher la question de notre ralliement au Front Populaire. Ce dialogue s’est étalé sur quatre semaines successives et la mobilisation de l’instance législative qui était en session permanente, et le 10 mars 2013, c’est-à-dire un mois après cet assassinat, la décision de rejoindre le Front Populaire était prise. Le bureau politique était chargé de donner forme à cette décision, et nous avons poursuivi, officiellement, nos rapports qui, en fait, n’étaient pas interrompus, étant donné que nous n’avons, à aucun moment, abandonné notre rôle militant et nous étions présents à toutes les échéances l’opportunité d’y participer nous était offerte.
-A votre réintégration du Front Populaire, sur quoi a porté le dialogue entre les deux parties?
-Cette reprise du dialogue a porté sur la question organisationnelle. Les délégations se sont, alors, multipliées et succédées de notre côté, et le dialogue, auquel je n’ai pas pris part, était sincère, responsable et sérieux. Il était, enfin, convenu avec la direction du Front, à deux jours de la commémoration du quarantième jour de l’assassinat de Chokri Belaïd, d’organiser une conférence de presse commune pour annoncer sa réintégration par le Mouvement et la reprise de son rôle en son sein. Mais malheureusement, juste après la cérémonie de cette commémoration, le discours a changé et ont commencé les tentatives de faire revenir notre parti sur la décision du 10 mars.
-Comment vous avez réagi vis-à-vis de cette rétraction ?
-Nous avons considéré que cette position était, extrêmement, dangereuse, car si le Mouvement n’était pas capable d’honorer son engagement, il ne pourrait plus jamais exécuter ses propres décisions à l’avenir, et tout parti politique qui est incapable de donner forme à ses résolutions se condamne par lui-même à son extinction. Et à partir du 15/20 mars, nous avons connu une lutte interne et un accouchement difficile au bout desquels a émergé, au sein du Mouvement, une ligne qui exerçait une pression dans le sens de la renonciation à la décision de ralliement menaçant de se retirer du parti dans le cas où leur volonté ne serait pas respectée. Et en tant que secrétaire général et responsable de l’unité du Mouvement, de sa position politique et de la mise en œuvre de sa décision organisationnelle, j’ai annoncé, au cours de la marche organisée, le 9 avril, par le Front Populaire, que notre parti a repris ses relations politiques avec ce dernier.
Donc, je n’ai pas pris de position comme on l’a prétendu, mais je n’ai fait, comme je l’ai précisé plus haut, que communiquer une décision tout en précisant que ce ralliement était seulement politique et pas encore organisationnel, car pour se faire, il fallait rédiger un communiqué commun, tenir une conférence de presse, poursuivre notre rôle au sein du conseil des secrétaires généraux et des coordinations, etc.
Depuis, une forte différence de points de vue s’est manifestée: activer ou bien annuler la décision de ralliement au Front. En réalité, cette question était la goutte qui a fait déborder le vase, étant donné que la polémique était, purement, politique, un conflit autour d’approches politiques, de la position vis-à-vis du pouvoir, de la manière de traiter avec l’islam politique, du rôle des Nassériens pendant cette phase. Parmi ces points de divergence, il y en a ceux qui datent d’il y a vingt ans, à l’intérieur du courant nationaliste, et ceux qui viennent d’émerger.
-Doit-on comprendre que les trois raisons avancées par l’actuelle direction du Mouvement Populaire pour justifier la suspension de son ralliement au Front Populaire, lors de la conférence de presse tenue dernièrement, ne sont que de faux prétextes ?
-Ces raisons relatives à la différenciation entre l’islam politique et la religion musulmane, la position vis-à-vis de Nida Tounes et la question de souveraineté nationale n’étaient pas des conditions mais des orientations dans le dialogue avec les composantes du Front. Et soyons clairs, les alliances se font sur la base d’une plateforme politique qui est déjà élaboré et à laquelle nous avons apporté notre contribution. Si ce que l’on demande c’est d’y préparer un appendice, je crois que, dans ce cas, il faudrait procéder à une vérification du travail politique et de l’appréhension de celle-ci.
D’autre part, dans le travail de front, les gens cherchent ce qui est commun en vue de l’améliorer et non pas ce qui est différent pour obliger l’autre partie à l’accepter. Pour ce qui est de la première question, elle ne peut être tranchée au moyen d’une décision, ni en la mentionnant dans un communiqué, mais à travers l’accumulation de l’action militante et politique qui pourrait prendre des années, en ce sens que lorsque vous êtes attaché à votre religion et que vos pratiques sont progressistes, vous allez obliger les autres à respecter vos prises positions et à faire la différence entre l’islam politique et la religion musulmane.
Donc, c’est niais que de croire que cette question pourrait être réglée par une simple déclaration ou un simple communiqué. Quant à la souveraineté nationale, elle a trait à la menace d’internationalise l’affaire du martyr Chokri Belaïd pour exercer une pression sur le pouvoir et l’amener à dévoiler les assassinats et leurs commanditaires. Je crois que c’est un faux prétexte, car si quelqu’un perdait un oiseau et que le tueur soit inconnu, il ne serait apaisé que lorsque celui-ci était identifié.
Que dire alors d’un parti, d’une famille et d’un front ayant perdu l’un de ses principaux leaders dont l’assassin est encore inidentifié, et malgré tout cela, on ose leur demander de se taire et d’accepter le fait accompli. Un tel appel est un service rendu aux assassins et aux criminels, et je pense qu’aucun militant n’accepte de jour ce rôle. D’ailleurs, l’affaire n’est pas encore internationalisée et le sera pas en raison des complications légales.
Enfin, concernant la troisième pseudo-condition touchant à la position à l’égard de Nida Tounes, ce parti qui était fondé pour recycler les Rcédistes, il faut savoir que Ennahdha a participé à la confection de ce parti. Comme elle a créé ses partenaires avant et après le 23 octobre et mis en place une Troïka, elle, actuellement, est en train d’inventer de toutes pièces ses adversaires afin de pouvoir les vaincre en toute aisance sous les titres de résidus, de forces contrerévolutionnaires, de symboles du régime déchu et de l’Etat profond et s’affichant comme étant la partie qui porte l’étendard de la révolution et du changement.
Il est facile pour le mouvement Ennahdha de l’emporter sur ceux qui se sont, historiquement, liés à l’ancien régime et les acculer dans un coin, c’est pourquoi elle exagère l’importance de Nida Tounes dans le but de paraître comme étant la force de frappe, radicale, etc. Alors qu’elle ne peut pas procéder de même avec le Front en en amplifiant l’image, parce qu’elle est incapable de surenchérir sur ses composantes sur le plan militant, politique et radical, une telle manœuvre de sa part ferait d’elle le premier perdant dans l’opération politique.
Donc, ni nous, ni le Front Populaire n’avons jamais traité avec les Rcédistes et ne le ferons jamais. Celui-ci est là pour limiter les effets néfastes de la bipolarisation vers laquelle tous les événements poussent entre Ennahdha et ses alliés, d’un côté, et l’Etat profond dirigé par les Rcédistes qui connaissent un nouveau titre, un nouveau rassembleur en la personne de Hamed Karoui qui serait un partenaire fidèle de Ennahdha dans les jours qui viennent.