Comme avant elle la Révolution française et la Révolution iranienne, la Révolution égyptienne risque de dévorer ses enfants. Les révolutionnaires du 25 janvier 2011 s’entretuent sous nos yeux aujourd’hui. Chacun défendant crânement sa vision du monde. Et campant sur ses idées. Avec pour bilan, des morts et des blessés.
Maximilien de Robespierre, Georges-Jacques Danton, Louis Antoine de Saint-Just, Aboualhassan Bani Sadr, Messaoud Rajavi et Sadegh Gohbzadeh (limitons-nous à cette liste) : il est difficile que vous n’ayez pas entendu parler de ces révolutionnaires. Les trois premiers sont des acteurs imminents de la Révolution française de 1789, et les trois derniers sont des acteurs aussi imminents mais d’une autre révolution, celle contre le Shah d’Iran, en 1979, qui a porté au pouvoir le Guide de la révolution, l’Ayatollah Khomeiny.
Tous ont en commun d’avoir été rejetés par la révolution qu’ils ont aidé à faire éclater et fait un bout de chemin avec des camarades qui sont allés jusqu’à les éliminer ou poussé à l’exil. Robespierre, Danton, Saint-Just et Gothbzdeh connaîtront la potence. Bani Sadr et Rajavi seront obligés de fuir leur pays. Pour éviter sans doute d’être exécutés à leur tour.
Drôle de révolutions qui cannibalisent ses enfants après les avoir choyés. Aboulhassan Bani Sadr a été le premier président de l’Iran (1980-1981) que s’était choisi la hiérarchie du clergé chiite d’alors. Quant à Sadegh Gohbzadeh, il a été l’aide de camp de l’Ayatollah Khomeiny pendant son séjour en France, en 1978, avant qu’il devienne le ministre des Affaires étrangères de l’Iran directement après la révolution (1979-1980).
Qui sait?
Tous deux avaient la confiance de la Révolution iranienne avant que celle-ci les accuse. Le premier a été destitué par Khomeiny parce qu’il défendait un peu les droits de l’homme. Le second a été accusé carrément d’intenter à la vie même du Guide de la révolution. Des allégations selon certains. Qui sait? L’histoire n’est-elle pas écrite par les vainqueurs.
Ce qui se passe aujourd’hui sous nos yeux nous apporte une illustration de ce cannibalisme révolutionnaire. La révolution dévore ses enfants. Voici des personnes qui se sont rassemblées le 25 janvier 2011 à la Place Tahrir, au Caire, pour crier, main dans la main, leur rejet du régime de Hosni Moubarek, mais qui sont devenus au fil du temps révolutionnaire des adversaires. Pour ne pas dire des ennemis.
Chacun évidement campe sur ses idées et est près à aller loin pour défendre ses convictions. Ils ont du reste occupé des espaces différents au Caire. Les Frères Musulmans ont occupé la Place de Rabba Al Adaouiya. L’opposition libérale et nationaliste a choisi la Place Tahrir. Et déjà ici et là, on compte des morts et de nombreux blessés. On compte encore des personnes arrêtées qui connaîtront peut-être la détention.
L’histoire des révolutions nous enseigne aussi que celles-ci ont souvent ceci de particulier qu’elles peuvent être récupérées. C’est le cas de la Révolution française. Ainsi, la Monarchie, que les révolutionnaires ont chassée en 1789, revient en France avec la montée sur le trône de Louis XVIII, un descendant pur jus des Bourbons, la famille de Louis XVI, qui a été, à son tour, guillotiné.
Idem pour la Révolution iranienne qui sera récupérée par les religieux avec l’appui des gens du Bazar, les grands commerçants de Téhéran. Là aussi, la révolution fera la part belle aux forces de l’argent. Et non aux «Mostazafine», ces déshérités, qui ont servi notamment de chair à canon pendant la guerre Irak-Iran (1980-1988) et dont beaucoup estiment avoir été trahis par les idéaux de la Révolution de 1979.
Article publié sur WMC