Tunisie : Des voix réclament l’ajustement de la loi criminalisant

Des voix se sont élevées, jeudi, pour réclamer l’ajustement du projet de loi adopté la veille en conseil des ministres et criminalisant les agressions contre les agents de sécurité et leurs locaux. Des acteurs de la société civile et de la vie politique et médiatique en ont fait part lors d’une conférence organisée à Tunis. La partie syndicale, par contre, s’y accroche.

Le député Hichem Hosni tient pour improbable que le texte puisse être adopté par l’Assemblée nationale constituante dans sa version actuelle, affirmant que, dans le cas contraire, il pourrait conduire à l’arbitraire des personnels sécuritaires.

Il qualifie les peines proposées d’ « excessives et potentiellement attentatoires à la liberté d’expression ».

Le député a plaidé pour l’amendement du projet de loi de manière à prendre en compte les considérations de droits de l’Homme et à garantir le droit d’expression du citoyen. Il pointe surtout du doigt l’article 11 prévoyant des peines allant de 3000 dinars d’amende à 3 années d’emprisonnement à l’encontre de quiconque agresse un agent de sécurité par le geste ou l’outrage. La chroniqueuse Néziha Rjiba (Om Zied) demande elle aussi la suppression pure et simple de ce même article 11, « l’article des excès » comme elle le qualifie, appelant les personnels sécuritaires à « ne pas chercher à faire promulguer des lois qui serviraient leurs seuls intérêts sur le dos du citoyen ».

Om Zied constate, également, la persistance des agressions policières contre les citoyens, jusqu’à aujourd’hui. Le directeur du Centre d’études méditerranéennes et internationales, Ahmed Driss, estime de son côté que si « la société civile soutient les revendications des personnels sécuritaires en vue de la mise en place de lois à même d’assurer leur protection et celle de leurs familles et de leurs biens », elle « ne veut pas pour autant qu’ils soient dotés d’une force excessive sous le parapluie de la loi ».

Driss considère que, dans le cas d’espèce, la loi existante criminalisant les agressions contre les fonctionnaires dans l’exercice de leurs fonctions reste amplement suffisante, sans qu’il y ait besoin de promulguer une loi spécifiquement destinée aux personnels sécuritaires.

Il a, en outre, plaidé pour la réunion des conditions propres à favoriser l’instauration de relations confiantes et mutuellement respectueuses entre le citoyen et l’agent de l’ordre, et surtout qui soient fondées sur un nouvel état d’esprit.

Une sociologue militaire et experte en réformes sécuritaires, Badra Gaaloul, a mis en garde contre « les conséquences éventuelles du projet de loi pour les libertés publiques et pour le processus démocratique en Tunisie », notamment les articles relatif aux peines encourues qui, selon elle, font aujourd’hui polémique. Pour autant, Gaaloul n’a pas dénié aux agents de l’ordre leur droit à des lois à même de les protéger des agressions et d’encadrer leurs interventions sur le terrain, en leur qualité de fonctionnaires publics. A l’inverse de ces nombreuses mises en gardes, les représentants de l’Union nationale des syndicats de la sûreté tunisienne, défendent crânement le projet de loi que les syndicats sécuritaires avaient proposé au gouvernement provisoire et à l’Assemblée nationale constituante. Un membre de cette union, Sahbi Jouini, soutient que les articles du Code pénal applicables en cas d’agression contre un fonctionnaire public ne le sont pas forcément quand ce sont des agents de l’ordre qui sont la cible de telles agressions.

« Les agents de l’ordre sont au quotidien victimes d’agressions qui parfois touchent leurs familles et leurs biens personnels », a-t- il dit. Ce syndicaliste a, en outre, souligné que, depuis la révolution, la promulgation de lois suffisamment dissuasives n’a jamais cessé d’être la revendication première des personnels sécuritaires. « Comment se fait-il que des agents de l’ordre qui opéraient en service commandé soient jugés et de surcroît en vertu de la loi sur l’état d’urgence en vigueur lors des évènements de la révolution », s’est-il en outre exclamé. Le secrétaire général de l’Union nationale des syndicats des forces de sécurité, Montassar Matri, assure, de son côté, que le projet de loi « ne prélude nullement le retour du régime policier », affirmant que « les personnels sécuritaires n’accepteront jamais que l’institution sécuritaire soient mêlée aux querelles politiques et partisanes ».

Citant des chiffres, il a fait état de 3472 agressions violentes depuis la révolution, dont la moitié des tentatives de meurtre, 600 attaques contre des locaux sécuritaires et 250 cas d’agression contre des biens personnels, sans compter les menaces quotidiennes. La conférence se tenait à l’initiative du Centre des Etudes méditerranéennes et internationales et avec le concours de l’Institut tunisien de politique. Des cadres du ministère de l’Intérieur présents à cette rencontre ont refusé de répondre aux médias au sujet de la position officielle du ministère sur le sujet.