Colonisation : L’Avenue Habib Bourguiba de mon enfance

La seconde cérémonie se situe dans le prolongement de l’avenue Habib Bourguiba, exactement à la place de la Victoire d’aujourd’hui qui se situe juste derrière Bab El Bhar (« Porte de la mer »), l’une des portes de la Médina de Tunis, marquant la séparation entre la Médina et la ville nouvelle.

Sur cette Place sensible, à quelques mètres de l’entrée de la Medina, se dressait une statue du Cardinal Lavigerie, dont on trouvera ci-dessous une carte postale, brandissant une énorme croix faisant face à l’avenue Habib Bourguiba. Cette statue a été érigée en 1925 à l’occasion du centenaire du cardinal, malgré les protestations, les manifestations, les répressions et les emprisonnements réitérés des citoyens musulmans opposés à ce symbole, le considérant comme une atteinte à leurs croyances et un mépris pour leurs traditions.

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Il faut dire que, de mémoire d’homme, il ne fait aucun doute que cette croix est la plus grande portée par le personnage d’une statue érigée au sol. Ainsi, l’avenue Habib Bourguiba de mon enfance était prise en tenaille entre ces deux symboles forts de la colonisation.

Je passais fréquemment près de ce monument dédié au cardinal Lavigerie, vu que j’étais un usager de la ligne de trolleybus N° 2, reliant Bab El Bhar au quartier de Montfleury où se trouve la maison familiale, contiguë à celle de Hafiz El Materi, grand père de Sakhr El Materi et frère de Mahmoud El Materi, et pas loin du domicile de Salah Ben Youssef, soit dit en passant ; ces deux derniers ont joué, comme il a été rappelé dans ce texte, un rôle de premier plan dans la lutte pour l’indépendance nationale et jeune, il m’arrivait de les rencontrer dans le quartier.

Quant à mes sentiments provoqués par l’existence du dit monument, j’ai commencé à sentir une certaine révolte du fait de sa présence à partir du jour où des gardes mobiles, suite à un attentat perpétré par la résistance nationaliste, ont bouclé le quartier de Bab El Bhar , fouillé et brutalisé tous les passants dits « autochtones », d’après l’appellation officielle, dont l’enfant que j’étais, sous le regard de bronze du Cardinal Lavigerie, mais en respectant les passants non autochtones.

Depuis ce jour, cette statue a représenté pour moi une preuve matérielle de l’occupation de mon pays et de l’humiliation quotidienne que subissait mon peuple.

Aussi, à l’indépendance, c’est avec joie et soulagement que j’ai assisté à la cérémonie de son déboulonnement ».

Par Salah HORCHANI

EXTRAIT DE :

http://www.agoravox.fr/actualites/politique/article/9-avril-date-charniere-du-133812