Amina : non, tout ne va pas bien…

Femen_Logo.svgTout va bien. Ils voudraient qu’on les croit et surtout qu’on se taise. Qu’on ne pense plus à Amina, première Femen tunisienne, qu’on regarde ailleurs et qu’on la ferme. Tout va bien, disent-ils. Après tout, quelle affaire ! Une jeune féministe de 19 ans enlevée pour avoir posé torse nu contre le sexisme sur sa page Facebook, quelle affaire ?

 

 

Une citoyenne majeure séquestrée par sa famille, qui lui reproche — dixit sa tante — d’avoir “sali l’Islam et sa famille pieuse”, quelle affaire ? Mais surtout quel rapport avec l’Islam ? Amina pose contre le sexisme en disant “Fuck your morals” et “mon corps m’appartient, il n’est pas votre honneur”. L’Islam n’y est pour rien. En revanche, sa “famille pieuse”, visiblement ne l’a pas très bien pris…

La dernière fois que nous avons vu Amina, c’est grâce à la vidéo d’un témoin, qui la montre poussée dans une voiture par ses proches sous haute escorte avenue Bourguiba. Depuis, elle n’a plus jamais montré son visage. Ni dans les médias, ni à ses proches, ni aux soutiens qu’elle venait d’appeler à l’aide… Car elle craignait les représailles de sa famille. Mais sinon tout va bien.

Elle a simplement été enlevée, en guise de punition, après avoir été menacée de mort par les intégristes, avec l’aide de la police (sa tante le confirme dans une vidéo)… Ce qui serait la preuve que la ministre dit de la femme en Tunisie, Sihem Badi, a mis ses menaces a exécution : empêcher par tous les moyens l’existence d’une association FEMEN en Tunisie car elle la juge contraire “à notre religion et à nos traditions”. Ce qui explique sans doute le silence assourdissant de militants ayant aimé la France quand il s’agissait de s’y réfugier pour fuir la persécution politique sous Ben Ali, mais trouvent la solidarité internationale, y compris venant de démocrates arabes, odieuse… depuis qu’ils président à la destinée de la Tunisie et se comportent, à leur tour, comme des autoritaires.

Ceux-là devraient se souvenir qu’ils ont pu compter sur la solidarité des mêmes intellectuels et journalistes quand il s’agissait de soutenir les révoltes annonçant le printemps démocratique, au lieu de chercher à dresser des frontières quand ça les arrange.

Car non tout ne va pas bien. Amina est bien dans sa famille mais ce n’est pas une “bonne nouvelle”, comme l’ont écrit certains journaux. Personne de ses proches, de ses amis ou de ses soutiens, ne l’a encore revue ni entendue dire qu’elle était libre, de ses mouvements et de sa parole.

Et ils sont nombreux à être inquiets. Depuis l’appel lancé par l’opposante iranienne Maryam Namazie — signé par la cinéaste franco-tunisienne Nadia El Fani ou encore la blogueuse égyptienne Aliaa El Mahdy et le blogueur égyptien Kareem Amer en passant par Taslima Nasreen — la pétition exigeant de protéger Amina et sa liberté d’expression a presque atteint les 100 000 signatures. Des photos de femmes, et parfois d’hommes, ayant tatoué provisoirement leurs torses en soutien à Amina affluent à Femen– n’en déplaisent aux différentialistes — du monde entier…

Ils devraient soutenir Amina contre l’adversité au lieu de hurler avec des loups conservateurs et moralistes ? Ils forment décidément une meute prête à tout pour faire taire l’universalité des droits de l’homme. De quoi vous mêlez-vous ! C’est une folle, une hystérique, une salope ! Nous avons nos valeurs, nos traditions ! Vous êtes les agents d’un complot ! Américain, israélien, et pourquoi pas martien… Tout va bien, on vous dit, circulez !

Les chiens ne sont pas des loups. Ils sont pires. Ils accusent toujours les précurseurs, les avant-gardistes, les éclaireurs, de faire trop de bruit, trop de vagues… De faire le jeu des intégristes. Alors qu’ils hurlent et mordent avec eux. Au point de forger leur muselière. Sans voir qu’il faut justement des provocateurs, et les soutenir, pour desserrer les mâchoires de la régression.

C’est pourquoi nous ne nous tairons pas. Quelle que soit notre nationalité, sans en tenir compte. Ni ici, ni là-bas. Nous voulons parler à Amina. Qu’elle nous dise, de visu et de vive voix, qu’elle est libre… De ses mouvements et de sa parole. Qu’elle va bien. Alors nous le croirons. Pas avant.

Nous demandons à tous les militants du Forum social de crier avec nous “Free Amina !”… Free Tunisia ! Car c’est le même cri.

Caroline Fourest