L’alibi français ne doit pas occulter l’échec cuisant de la Troïka

Par : Autres

, tué par balles, mercredi matin (6 février 2013), et inhumé vendredi 8, lors d’obsèques nationales auxquelles avaient participé spontanément, plusieurs dizaines des milliers de Tunisiens.

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Vint ensuite la réaction, sur les ondes de radio Europe 1, du ministre français de l’Intérieur, Emanuel Valls.

Ce dernier a notamment déclaré que “la France ne coopérera jamais quand il s’agit de réprimer un peuple” et qu’“il y a un fascisme islamique qui monte un peu partout, et cet obscurantisme (…) doit être évidemment condamné (…) puisqu’on nie cet Etat de droit, cette démocratie pour lesquels les peuples libyen, tunisien et égyptiens se sont battus”.

Il a, en outre, dit “garder espoir dans le rendez-vous électoral pour que les forces démocratiques et laïques, celles qui portent les valeurs de cette révolution du Jasmin, demain l’emportent”, considérant que “c’est un enjeu considérable (…) pas uniquement pour les Tunisiens mais pour tout l’espace méditerranéen et donc aussi pour la France”.

En plus clair encore, Manuel Valls a appelé, clairement, à soutenir «les démocrates et les laïcs» contre les islamistes d’Ennahdha.

Ces déclarations n’ont pas été du goût des nahdhaouis au pouvoir et ont provoqué leur ire. Saisis d’effroi et ébranlés par la géante manifestation des Tunisiens qui sont descendus pour faire assumer à la Troïka cet ignoble acte de violence politique, le chef du gouvernement, Hamadi Jebali, et son ministre des affaires étrangères, Rafik Abdessalem, ont trouvé dans ces déclarations une diversion salutaire pour détourner l’attention des Tunisiens et fouetter leur égo et les monter contre l’ancien colonisateur.

Ils convoquent l’ambassadeur de France, François Gouyette, pour lui signifier que “les déclarations du ministre français de l’Intérieur sont partiales, préoccupantes, non amicales et ne correspondent pas à la nature des relations qui unissent la Tunisie et la France, et n’aident pas à l’établissement de relations solides”.

Voilà pour les faits. Reste le commentaire

Sur le plan forme, les analystes ont été unanimes pour qualifier de «maladroites» les déclarations du ministre français de l’Intérieur qui «remettent en cause, selon eux, la neutralité de la diplomatie française». Même des observateurs français y ont vu «une maladresse folle» d’autant plus que tout le monde se souvient encore du précédent désastreux de l’intervention de Michèle Alliot-Marie, ministre française de l’Intérieur au temps de Sarkozy, proposant, en plein soulèvement populaire contre Ben Ali, le savoir français en matière de maintien de l’ordre et de répression des manifestations.

Mieux, de l’avis de tous, en dépit des dérapages des nahdhaouis et dérivés (salafistes, milices des ligues de protection de la révolution, djihadistes islamistes…), la République laïque se défend bien en Tunisie. En témoigne la formidable mobilisation populaire lors de l’enterrement du leader Chokri Belaïd et les multiples manifestations de la société civile pour protester, une année durant, contre les tentatives des nahdhaouis de leur imposer un projet de société moyenâgeux.

Conséquence: les Tunisiens ont montré, jusque-là, qu’ils sont politiquement majeurs et sont capables de se défendre et de choisir leur destin.

Même, les Etats-Unis auraient mis en garde la France contre toute ingérence dans la chose tunisienne, du moins si l’on en croit le journal Le Maghreb (livraison du samedi 9 février 2012) qui se référait à des sites électroniques.

Au plan du contenu, les déclarations d’Emanuel Valls sont légitimes et relèvent du droit naturel de tout pays de se défendre. La France, pays méditerranéen qui entretient des relations privilégiées avec la Tunisie, est en droit de se préoccuper, tout comme l’Algérie et l’Italie, de la montée de la violence en Tunisie.

La France, qui est engagée dans une guerre sans merci au nord du Mali contre des djihadistes islamistes dont des centaines de barbus tunisiens, ne peut que s’inquiéter d’un fascisme islamique qui monte sur son flanc sud.

Mieux, la France, qui accueille plus d’un demi-million d’émigrés Tunisiens, demeure une terre d’asile pour les opposants tunisiens. Au regard de la grave crise socioéconomique que connaît ce pays, ses dirigeants ont peut-être pris l’initiative d’anticiper sur une éventuelle migration de laïcs vers le nord de la Méditerranée. Elle se souvient sans doute de l’arrivée massive sur son sol des intellectuels, politiciens et autres journalistes algériens pendant les années 90…

Par delà les inquiétudes de la France, il faut rappeler que le mal est en Tunisie. Le meurtre de Chokri Belaïd est le couronnement des actes de violence politique qui ont eu lieu, durant une année. La Troïka, qui a créé cette situation délétère, est responsable de la crise multiforme que connaît le pays. Elle a échoué sur tous les plans.

Sur le plan politique, en ne parvenant pas ni à élaborer une Constitution ni à fixer un agenda pour les prochaines élections.

Sur le plan économique, en ce sens où l’absence de visibilité a poussé les investisseurs et touristes à préférer à la Tunisie d’autres destinations plus sereines et surtout plus stables.

Sur le plan social avec la cherté de la vie, l’accroissement du chômage et de la précarité.

C’est pourquoi, les manifestants qui ont participé aux funérailles du martyr Chokri Belaid n’ont pas hésité, une seconde, à désigner du doigt la Troïka, particulièrement le parti Ennahdha, et à leur faire assumer toute la responsabilité de cet assassinat.

Cela pour dire in fine que l’alibi des déclarations du ministre français de l’Intérieur ne doit pas occulter l’échec cuisant des islamistes au pouvoir et de leurs appendices (CPR et Ettakatol, Wafa).

Par Abou Sarra

(Publié sur WMC)