Même quand on a la légitimité, on doit avoir le chrono à l’œil. Travailler sous la tyrannie de l’urgence, en temps de transition, c’est aller vite et faire court. La démocratie c’est la culture du résultat, sinon ça ne pardonne pas.
Le président de la République provisoire, Moncef Marzouki, a signifié son congé au gouvernement des quotas de partis. Il vient de siffler la fin de la partie, avec un sens aigu de l’instant. Il reprend la main. Et même avec des attributions a minima, il sait revenir dans la partie. Le carton rouge qu’il vient d’exhiber est capable d’éteindre le feu qui s’est déclaré à Siliana et qu’il faut empêcher qu’il se propage aux localités voisines. Loin de nous l’idée obscure et abjecte de jouer au Cassandre, mais la région du nord-ouest souffre du martyre de l’exclusion et de la sinistrose de l’inégalité. Si la région monte au filet, sa revendication se muera en véritable cause du peuple.
Tout proche de nous, quand la Corse s’est enflammée, Nicolas Sarkozy, en personne, est allé sur le terrain, pour dire, avec la symbolique présidentielle, toute la solidarité du pays. Un élan du cœur n’est jamais de trop et ça fait toujours du bien.
Il ne faut pas que la région se sente de deuxième division, il ne faut pas que le message de sympathie parvienne par la rue, en ébullition. Le gouvernement doit s’emparer du joker de la solidarité et témoigner de la solidarité de l’Etat. Il faut aller sur le terrain et adresser ce message fort à toute les régions qui se sentent défavorisées.
Entendre enfin la voix de la raison
Toute la société civile réunie s’égosillait à plaider pour un gouvernement de technocrates. Des gens de bonne volonté au patriotisme éprouvé ont appuyé l’idée. Les associations l’ont soutenue. Le bon peuple aurait vu d’un bon œil.
Tout près de nous encore, quand l’Italie s’est trouvée en crise, elle a débarqué un gouvernement qui n’arrête pas de se glousser de sa légitimité et un cabinet de technocrates s’est mis à la barre.
Il sert à quoi de s’emparer de l’appareil d’Etat quand on n’a pas un programme pour séduire l’opinion. L’enseignement majeur du 14 janvier est bien clair. Si le deal politique est rejeté par le peuple, souverain, il ne sert à rien de détenir les leviers de commande car le commandement change de mains et passe au peuple. C’est encore tout chaud, tout frais.
L’histoire est tragique, disait Raymond Aron, grand connaisseur du pouvoir mais aussi de l’histoire. Et, la démocratie c’est l’alternance, et quand on l’oublie, c’est le siège éjectable qui s’active.
Comment concilier, à présent, entre les pouvoirs en place? Un président qui appelle au switching de gouvernement et un gouvernement qui s’agrippe au pouvoir. Voilà de la crise qui s’ajoute à la crise.
Gagner sur le temps mais gagner du temps…
Il y a une scène qu’on aurait pu nous épargner, celle du ministre du Développement régional en train d’égrener la liste des projets destinés à la région de Siliana. Certains étaient engagés et d’autres en cours. Mais à quoi bon tout ça quand les citoyens ont dit leur mot: «Assez», et quand le président a dit: «Out» ? A quoi il sert de regarder loin quand on a un mandat limité dans le temps ? Le gouvernement cherchait à gagner du temps alors qu’il s’agit de gagner sur le temps et à faire bouger les choses sur terrain, rapidement, à faire revenir l’espoir, puis la confiance, et enfin la croissance.
Le gouvernement, dans les temps de crise, a toujours joué sur des registres décalés par rapport à l’actualité. Quand le nord-ouest était enseveli sous la neige, Marzouki était quelque part au Maghreb à chercher à réactiver l’hypothétique UMA. Et le chef du gouvernement se trouvait en Arabie Saoudite à un quelconque sommet. Hier, alors que Siliana était en effervescence, le chef du gouvernement a fait le déplacement à Djerba. Il faut se rappeler ce que ça a coûté à George Bush d’avoir négligé les sinistrés de la Floride, après une catastrophe naturelle.
L’opinion a besoin de voir que l’agenda du gouvernement est un agenda national. Les priorités du peuple doivent figurer en tête de liste de l’emploi du temps du gouvernement. Le peuple a besoin de voir des responsables locaux choisis pour leur efficacité. Nous sommes en temps de transition et rien n’est déjà gagné. Fallait-il l’oublier?
La patrie plutôt que les partis
Un gouvernement de coalition, on en s’en est convaincu à présent, c’est un gouvernement de tiraillements et c’est un gouvernement où les priorités partisanes prennent le dessus sur les priorités nationales. Tous les partis au pouvoir pensent s’être accaparés la tribune du pouvoir et en faire une tribune de réélection. C’est vite aller en besogne. La patrie avant les partis! Que n’appliquez-vous cette consigne.
Au revoir et merci
Quand un gouvernement manifeste un temps de latence exagéré, il est dépassé par le temps. Fallait-il décréter une commission pour le 3 décembre? Un simple regard au calendrier et on voit que le 3 tombe un lundi. Voilà donc un gouvernement qui prend un week-end sabbatique et attend tranquillement le lundi pour reprendre l’enquête alors que les services de l’ordre possèdent des vidéos qui permettent de cerner les responsabilités et de se déterminer sur l’heure. Il y a des choses qui n’attendent pas.
Quand la maison brûle, il faut aller au charbon, sur le moment. La preuve, le président a réagi à chaud et s’est démarqué du gouvernement. A l’évidence, cela ne fera que réveiller les petits calculs politiques. J’entends déjà qui disent “ça y est, il se paie sur l’affaire Baghdadi et reprend la main pour apparaître en héros“. On avait une crise économique, qu’on n’arrivait pas à juguler. La crise politique vient se rajouter, et voilà la crise de confiance qui nous tombe dessus.
Allez démêler tout ça. A présent, on est dans le noir. Au revoir et merci. Et au suivant!
Par Ali Abdessalem (WMC)