Les violences se sont multipliées entre Israël et la bande de Gaza les 23 et 24 octobre, quelques heures après la visite de l’émir du Qatar. Cette première visite d’un chef d’Etat étranger à Gaza, depuis la victoire du Hamas aux élections de 2007, marque-t-elle une redistribution des influences régionales ?
Courrier international
La presse qatarie, unanime, titre sur le voyage de Khalifa bin Hamad Al-Thani à Gaza, le 23 octobre, en vantant la solidarité arabe dont il serait l’expression. “La cause palestinienne reste une blessure profonde dans le corps arabe”, titre par exemple Al-Arab de Doha pour suggérer que l’émir, en majesté sur la photo de une, est venu la soigner.
C’est vers Gulf News des Emirats arabes unis voisins qu’il faut se tourner pour comprendre que fraternité arabe, en l’espèce, veut dire rejet de l’Iran : “Le Qatar cherche à remplacer les alliés perdus du Hamas”, titre en une Gulf News de Dubaï : “Il ne veut pas tant soutenir le Hamas que le contenir. Il saisit l’opportunité de compenser le soutien que le Hamas a perdu du côté de ses anciens alliés en Syrie et en Iran.”
Le journal panarabe Asharq Al-Awsat, financé par les Saoudiens, se montre plus circonspect : “Le voyage de l’émir du Qatar à Gaza suscite pas mal de critiques, notamment de la part de l’Autorité palestinienne. Mais elle suscite surtout des questions. Ce voyage, signe-t-il l’engagement du Qatar derrière Gaza, en remplacement de l’alliance avec la Syrie et l’Iran ? Pourtant, après la chute du régime Moubarak et l’arrivée au pouvoir des Frères musulmans en Egypte, Gaza aurait dû vivre à l’heure égyptienne.”
Vu de Ramallah, siège de l’Autorité palestinienne dominée par le Fatah en Cisjordanie, Al-Ayyam écrit : “Personne ne conteste qu’il faille reconstruire la bande de Gaza et aider sa population souffrant du siège israélien et de la mainmise du Hamas. Or ce n’est pas de cela qu’il s’agit. Le Qatar se croit une grande puissance investie du droit de décider du sort des autres pays de la région, sur instigation de la maîtresse de l’émir et de son Premier ministre, à savoir les Etats-Unis. Comme si les gens ne savaient pas les services que le Qatar a rendus à Washington et à Israël. Comme si quelqu’un pouvait croire que l’émir Hamad ben Khalifa Al-Thani était le Che Guevara du XXIe siècle. Si le Qatar avait simplement voulu reconstruire, il aurait pu envoyer l’argent sans organiser ce voyage. Nous ne sommes pas bêtes au point de ne pas en voir la dimension politique. Il s’agit de sortir le Hamas de son isolement et non pas de briser le blocus de Gaza. Car c’est Israël qui assiège Gaza, Israël qui a intérêt à maintenir les divisions interpalestiniennes. Doha aurait pu exercer des pressions sur le Hamas pour qu’il organise des élections, ce qui aurait été un premier pas pour surmonter ces divisions. Or l’émir du Qatar précipite l’application du grand marchandage entre les Frères musulmans et les Etats Unis, marchandage, qui permet aux Frères musulmans d’accéder au pouvoir en contrepartie de la préservation des intérêts américains dans la région.”
Le site palestinien Amin s’émeut quant à lui de “l’intention de destruction du projet national palestinien par la transformation de la solution à deux Etats. Au lieu de créer un Etat palestinien sur la totalité des Territoires occupés, ce projet laissera la Cisjordanie et Jérusalem à l’entité sioniste et offrira aux Palestiniens l’émirat islamiste de Gaza en lot de consolation. Alors que les Palestiniens s’adressent aux peuples arabes, à la Ligue arabe et au reste du monde afin de prendre des mesures d’urgence contre la colonisation à Jérusalem, l’émir du Qatar évite l’affrontement avec Israël et Washington. Si les objectifs avaient été humanitaires, cette visite aurait dû être coordonnée avec le président de l’Autorité palestinienne Mahmoud Abbas. Car Gaza fait partie de la Palestine, une Palestine qui est représentée jusqu’à preuve du contraire par l’Organisation pour la libération de la Palestine (OLP) et par son président Abbas.” Et de conclure : “La réconciliation interpalestinienne n’en sera que plus difficile après ce voyage.”