C’est à deux échantillons de la politique spectacle que se sont adonnés, les 21 et 22 octobre 2012, deux chaînes de télévision tunisienne. Mais à force de jouer avec le feu on risque bien de se bruler. Qu’ils appartiennent à la coalition au pouvoir ou à l’opposition, les politiques ne méritent pas d’être traités de la sorte.Samir Dilou, ministre des droits de l’homme et de la justice transitoire et porte-parole du gouvernement, s’emporte, dimanche 21 octobre 2012, sur un plateau de la chaîne Hannibal tv. Invité dans une émission culturelle (« Bilaa moujamalaa », Sans concession), il est agressé verbalement par l’acteur Lotfi Abdelli qui lui manque de respect. Cet incident va devenir un thème central de l’émission. Un des chroniqueurs de l’émission, Lotfi Lamai, va critiquer le comportement de l’acteur, et en sa présence, qui lui a reproché sa manière de faire.
Le lendemain (22 octobre 2012), un incident va exploser sur le plateau d’une autre chaîne de télévision tunisienne, Attounissia Tv, lorsque deux invités en arrivent presqu’aux mains. Il faut dire que les choses ne pouvaient évoluer autrement. On avait placé dans le même plateau Bahri Jelassi, un homme d’affaires et un homme politique, président d’un parti non représenté à la Constituante, le Parti de la fidélité et de l’ouverture et Bendir Man, un chanteur, libre-penseur.
Propos agressifs et insultants, cris, énervements et gesticulations, les deux hommes vont échanger des propos aigres plutôt que doux sur un thème combien polémique : le Code du Statut Personnel (CSP), vieux de quarante-six ans et qui a donné aux Tunisiennes un statut particulier dans le monde arabo-musulman. La question du jour était relative à l’âge du mariage. Bahri Jelassi défend l’idée selon laquelle la loi doit être modifiée afin que la femme puisse se marier bien avant l’âge de 18 ans.
Propos agressifs et insultants, cris, énervements et gesticulations : tout y était pour le plaisir d’un téléspectateur voyeur. Celui-ci a pris le pli depuis quelques années d’extérioriser ses affects refoulés au plus profond de son subconscient grâce à certaines émissions de télévision. Cela s’appelle la catharsis et une tonne de littérature a été produite à ce sujet.
Revenons à la télévision tunisienne pour dire donc que ces deux émissions font partie d’un lot de programmes du même genre faisant du sensationnel un outil de la programmation. Ces chaînes pratiquent, par ailleurs, un certain voyeurisme qui nous plonge dans l’intimité des gens.
Ces dernières années, et sans crier gare, des émissions de talk show et de téléréalité ont changé la face de la télévision. Ces dernières émissions ont privilégié une écriture télévisuelle nouvelle qui réveille les pulsions plutôt que l’intelligence.
Cris insultes et fracas
Il faut dire que les formats diffusés ont été largement copiés d’AL Jazeera Tv qui a cherché dans certaines de ses émissions à ne faire que du sensationnel : les cris, les insultes et les fracas sont plus importants que le contenu.
« Par une belle journée du printemps 2010, se souvient un universitaire, j’ai été étonné de voir une animatrice me poser la question suivante dans un séminaire organisée autour d’un thème à caractère scientifique: « Ce matin, le sponsor de cette rencontre a offert un fer à repasser aux participants. Pourrions-nous dire qu’il leur demandait en quelque sorte de troquer la langue de bois contre la langue de « fer » ? »
« Je n’avais aucune réponse à lui fournir sauf d’esquiver habillement la question », poursuit-il. « Je répondis, que je n’étais pas présent dans la matinée puisque mon intervention était programmée pour l’après-midi. Je compris plus tard qu’elle n’avait pas jeté le moindre regard sur le programme du colloque qui ne l’intéressait pas du tout. Elle voulait faire du spectacle», insiste-t-il.
Ce qui intéresse les personnes qui programment certains contenus et invités est semble-t-il de faire un buzz. En clair : que les incidents, qui constituent leurs seuls faits d’arme, soient rapportés dans les discussions de cafés, dans les colonnes de journaux ou encore sur les réseaux sociaux.
Reste que les temps ont changé et le cas des émissions d’Hannibal Tv et d’Attounissia Tv le confirme. Il y a quelques années on faisait du spectacle avec les sportifs et les artistes. Force de constater que ce sont les politiques qui les ont remplacés aujourd’hui.
Mais à force de jouer avec le feu, on risque bien de se bruler. Qu’ils appartiennent à la coalition au pouvoir ou à l’opposition, les politiques ne méritent pas d’être traités de la sorte.
Tout le monde sait où a mené certains pays cette politique spectacle. Savez-vous ce que signifie la politique spectacle ? « La politique spectacle, nous dit le dictionnaire en ligne Wikipedia, désigne une tendance politique surtout actuelle à mélanger les domaines privé et public et à transformer la politique en une sorte de show que favoriseraient les médias, à travers la télévision, la presse mais également l’Internet. »
Abou Youssef