Les autorités tunisiennes devraient enquêter sur une série d’agressions commises par des extrémistes religieux dans les dix derniers mois et traduire les responsables en justice, a déclaré hier Human Rights Watch
Dans une lettre adressée aux ministres de la Justice et de l’Intérieur le 11 juillet 2012, Human Rights Watch a décrit en détail six incidents au cours desquels des individus ou des groupes apparemment poussés par des motivations religieuses ont attaqué des gens – pour la plupart des artistes, des intellectuels et des militants politiques – à cause de leurs idées ou de leur façon de s’habiller. Human Rights Watch a également reçu des informations sur un autre cas similaire, l’agression en août des organisateurs d’un festival par un groupe religieux radical.
« L’échec des autorités tunisiennes à enquêter sur ces attaques renforce l’impunité des extrémistes religieux et peut les encourager à être plus violents », a déclaré Joe Stork, directeur adjoint de la division Moyen-Orient et Afrique du Nord à Human Rights Watch.
La lettre aux ministres de la Justice et de l’Intérieur détaillait l’échec apparent des autorités à réagir à ces agressions. Human Rights Watch demandait aux ministres si les forces de l’ordre et les autorités judiciaires avaient agi en réponse aux plaintes déposées par les victimes des attaques et si des suspects avaient été inculpés ou traduits en justice. Human Rights Watch n’a reçu aucune réponse à cette lettre.
Les victimes de ces six affaires sont: Rajab Magri, un professeur d’art dramatique et militant de la société civile, attaqué le 14 octobre 2011, et à nouveau le 25 mai 2012, au Kef; son neveu Selim Magri, le 7 mai 2012 au Kef; Jaouhar Ben Mbarek, un militant et coordinateur du réseau social Doustourna, le 21 avril 2012 à Souk Al Ahad; Zeineb Rezgui, une journaliste, le 30 mai 2012 à Tunis; et Mohamed Ben Tabib, un documentariste et professeur de philosophie, le 25 mai 2012 à Bizerte.
Dans les six affaires, les victimes ont déposé plainte auprès des postes de police juste après les attaques, en identifiant les agresseurs dans la plupart des cas. Pour autant que Human Rights Watch ait pu l’établir, la police n’a arrêté aucun des agresseurs ni n’a entamé d’enquête formelle ou de poursuites contre eux.
Selon le droit international, les autorités tunisiennes ont l’obligation d’enquêter sur les personnes qui en agressent d’autres, de les poursuivre et de donner aux victimes des moyens de recours efficaces.
Dans le cas d’agression le plus récent porté à l’attention de Human Rights Watch, le 16 août, un groupe d’hommes barbus a attaqué un festival marquant le Jour international de Jérusalem, à Bizerte, une ville à 40 km au nord de Tunis, blessant au moins trois militants.
Khaled Boujemaa, un militant des droits humains et organisateur du festival, a déclaré à Human Rights Watch que ce jour-là il avait appelé le chef de la police à plusieurs reprises, d’abord pour l’informer de menaces de la part de personnes qu’il identifiait, par leurs barbes et leur habillement, comme des salafistes, des musulmans qui prônent un retour à l’islam tel qu’ils pensent qu’il se pratiquait au temps du prophète Mohammed. Ces hommes avaient ordonné aux organisateurs d’annuler le festival et les avaient accusés d’être des chiites, qui représentent une minorité des musulmans de Tunisie.
Il a appelé la police encore une fois après qu’un groupe important de barbus a commencé à déchirer les photos et les banderoles affichées pour l’événement. Enfin Boujemaa a fait un troisième appel lorsqu’une soixantaine d’assaillants ont commencé à l’attaquer ainsi que les autres participants au festival. Selon lui, l’officier l’a assuré que la police prendrait les mesures nécessaires pour leur sécurité, mais aucun policier n’a été envoyé pour protéger le festival, et le chef de la police observait l’attaque de loin sans intervenir. Boujemaa a été gravement blessé et emmené à l’hôpital.
« Les policiers sont venus nous voir à l’hôpital quelques heures après, et le 21 août nous sommes allés à la police identifier certains des agresseurs », a déclaré Boujemaa à Human Rights Watch. « Ensuite j’ai vu les individus que nous avions identifiés sortir du poste de police par la porte de derrière. Depuis nous n’avons pas eu de nouvelles indiquant si le procès aura lieu, et à quelle date ».
Ces agressions ont été commises lors des dix derniers mois, dans différents endroits du pays, par des personnes ayant des vêtements et une apparence semblables, d’après les récits des victimes. Les assaillants avaient un comportement violent, ils utilisaient des armes telles que des épées, des gourdins et des couteaux dans le but d’empêcher des festivals ou des célébrations, et ils ont passé des gens à tabac, apparemment à cause de leurs idées, de leur façon de s’habiller ou de leurs activités.
« L’absence apparente d’enquêtes judiciaires – sans parler de poursuites – ne peut qu’accroître le sentiment de vulnérabilité de ceux qui attirent la haine de ces gangs », a conclu Joe Stork.
Source : Human Rights Watch
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