Les avis divergent, à Tunis, les constats aussi. Il y a ceux qui disent que la semaine des cinq jours a fait baisser leur chiffre d’affaires. D’autres pas. Choses vues et entendues un samedi 6 octobre 2012 dans certaines artères de la capitale.
Samedi 6 octobre 2012. 10 heures. Sur toute l’Avenue de la Liberté, la circulation est fluide. Il n’y a ni bouchon ni encore klaxon. «C’est super», souligne Khaled H., qui habite un immeuble de l’Avenue des Etats-Unis d’Amérique, du côté du quartier Lafayette. Il ajoute: «Je dispose d’un jour supplémentaire pour boire calmement mon café dans le quartier où je suis né et où je continue à vivre».
Khaled H. pense qu’il est chanceux puisqu’il travaille à 100 mètres de son domicile. Dans une banque où son père a passé le plus clair de sa vie jusqu’en 1999. Avant qu’il lui emboîte le pas. «L’ancien PDG de la banque m’a offert la chance de ma vie, confie-t-il, en acceptant que je prenne la place de mon père arrivé à l’âge de la retraite».
Assis à la même terrasse de café, Mansour n’a pas la même chance. Ce client de la banque de Khaled s’appelle Faouzi et gère un bureau d’études situé dans les environs. Il est venu siroter un soda, mais devra très vite regagner son bureau. Blue jean et chemise blanche, il doit continuer la rédaction d’une offre entamée la veille et qu’un «client attend lundi prochain à la première heure».
Mahmoud a perdu jusqu’à 50% de son chiffre d’affaires
Ne dites surtout pas à Mansour G. que la semaine des cinq jours, commencée le 17 septembre 2012, est bonne. Il n’en pense que du mal. «Voyez-vous, c’était déjà pas bien. Mais maintenant, c’est la pire des situations que je vis depuis l’ouverture de mon bureau en 2004».
Pour lui, l’affaire est claire: il doit venir constamment samedi pour instruire certains dossiers. «Mes employés travaillent beaucoup moins qu’avant. Et puis cette histoire du vendredi après-midi: «Rares sont ceux qui vont à la prière et qui reviennent par la suite. Et hors de question de pouvoir glisser un mot. Les gens ne sont plus les mêmes. Chaque fois que l’on parle à un employé, il vous fait ressortir la cherté de la vie. Le fait qu’il ne peut plus du tout joindre les deux bouts. Il a raison. Mais trop, c’est trop».
Khaled H. est pratiquement du même avis lorsqu’il parle des employés: «Ils connaissent leurs droits, mais rarement leurs devoirs. Le travail n’est-il pas un devoir religieux?». Il poursuit: «Les Tunisiens veulent l’argent facile. Il est impossible de rester un quart d’heure dans une terrasse de café sans que des jeunes et des moins jeunes vous assaillent de partout. Un vendeur de jasmin par-ci, un mendiant qui vous tend un petit livre ou même une photocopie comportant des versets du Coran ou encore un porte-clés par-là «arguant du fait qu’il est un handicapé». Alors qu’il s’agit de «stratagèmes». «Il m’a été donné d’observer un jeune qui se disait handicapé -il s’appuyait sur une canne-, mais qui la jetait une fois réfugié dans une ruelle, pour compter son pactole et aller ensuite faire la monnaie dans un taxiphone», lance-t-il.
Mais revenons à nos moutons: qu’en pensent les Tunisiens de la semaine des cinq jours? La cinquantaine, marchand de légumes au marché Lafayette, bleu de travail, Mahmoud estime que c’est loin d’être une bonne affaire. Chiffres à l’appui, il essaye de vous convaincre qu’il a perdu jusqu’à 50% de son chiffres d’affaire. «La semaine des cinq jours a fait fuir des clients. Ils profitent de ce repos de deux jours pour rentrer chez eux au Bled», s’insurge-t-il. Et évidement «ils font leurs courses là-bas».
Il y a toujours des marchandises à transporter
Ce n’est pas tout à fait le même avis du côté de Imed, qui tient un étal à quelques mètres de là: «Le tout est que les gens ont peut-être changé leurs habitudes: certains viennent le samedi au lieu du dimanche et s’aventurent un peu plus loin puisqu’ils disposent un peu plus de temps; ils fréquent un peu plus les marchés hebdomadaires». Mais ce qui est le plus dur c’est que «nous avons perdu une clientèle qui venait en semaine faire quelques courses entre midi et deux heures».
Ca coince à l’angle de la rue Malta Esseghira, au centre ville. Une Isuzu bloque le passage. Ce qui fait hurler les commerçants qui ont installé des étals anarchiques et qui souhaitent pouvoir passer pour pouvoir les «alimenter» en marchandises. Très vite, on en arrive aux mains. Mais, l’escarmouche est aussi vite interrompue par un vieux monsieur qui porte une longue barbe, de grosses sandales noires et un pantacourt gris et qui boit un café express devant une cafétéria. Notre homme est le chauffeur d’une camionnette qu’il utilise pour transporter meubles et autres matelas que certains clients achètent dans cette rue commerçante de Tunis.
Pour lui, la semaine des cinq jours n’a rien changé. La circulation est la même quel que soit le jour de la semaine. Il en est de même pour sa petite affaire: il y a toujours des marchandises à transporter.
Mohamed Farouk
Article publié sur WMC
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