Il fallait s’y attendre, la nomination de Chedly Ayari à la tête de la BCT n’a pas été facile, mais la Troïka a réussi son examen de passage (97 pour, 89 contre et 5 abstentions). Compte rendu d’une séance qui n’a pas manqué de piquant. On aura en somme entendu, à l’endroit de l’homme, sa chose et son contraire.
«Trahison», le mot est lancé!
Pour Azad Badi, membre de l’Assemblée Nationale Constituante (ANC), la nomination de Chedli Ayari tient, à ses yeux, de la trahison. Un message adressé à la Troïka qui a soutenu la nomination de ce dernier à la tête de la Banque centrale de Tunisie (BCT), approuvée par l’ANC. Chedly Ayari a obtenu 97 voix (89 contre et 5 abstentions).
Mardi 24 juillet 2012, le débat initié à l’occasion de la nomination de Chedly Ayari n’a pas manqué de piquant. Jusqu’aux tentatives de s’ériger en donneur de leçon. Comme le fit Saloua Abbou, députée du CPR (Congrès Pour la République), le parti du président Mohamed Moncef Marzouki, qui a lancé à l’endroit des députés d’Ennahdha ce message: l’heure est grave et que chacun se doit de voter en son âme et conscience. En ajoutant, pour signifier son refus de voter pour la nomination de Chedly Ayari, que les députés du CPR ne sont pas des «moutons de panurge». Les résultats du vote ont montré que des membres de la Troïka ont fait défection.
Il fallait du reste s’y attendre: le débat se devait d’être haut en couleur, voire passionné eu égard au climat qui règne, depuis quelques temps, entre la majorité (la Troïka) et l’opposition avec ses différentes composantes.
Un symbole de l’ancien régime
Chacun y est donc allé de son commentaire sur l’homme faisant ressortir, sur de nombreux plans, la chose et son contraire. Chedly Ayari est-il un symbole de l’ancien régime du président déchu? Non, affirme un député qui soutient que l’intéressé n’a pas appelé à un nouveau mandat du président Ben Ali en 2014. Il est du moins difficile de le prouver dans la mesure où rien ne prouve qu’il ait signé un quelconque appel dans ce sens. En somme, lorsqu’on veut tuer son chien, on l’accuse de rage.
Pour un autre membre d’Ennahdha, parmi ceux qui ont accusé Chedly Ayari d’être un symbole de l’ancien régime du président déchu Ben Ali, il y a des membres de l’Assemblée Nationale Constituante qui n’ont pas fait mieux. Ces derniers n’ont pas, par ailleurs, mis en exergue le fait que l’ancien gouverneur, Mustapha Kamel Nabli, a été un symbole de l’ancien régime.
Chedly Ayari est-il compétent pour diriger la BCT? Si certains ont affirmé que non, parce qu’il est un «économiste par essence et non un financier»! Faux, affirment d’autres, l’homme a dirigé une grande banque régionale : la BADEA (Banque Arabe de Développement Economique pour l’Afrique).
Mise en demeure de Moody’s
Abondant sans doute dans ce sens, certains intervenants ont affirmé que Chedly Ayari n’a pas présenté, dans son intervention qui a précédé le débat de l’ANC, de véritable programme pour améliorer le rendu de la BCT. Rien que de vagues promesses. Ce qui les conforte dans leur conviction quant au fait que la question est profondément politique.
Chedly Ayari peut-il assurer l’indépendance de la BCT? Ridha Saïdi, ministre chargé des Questions économiques et sociales auprès du président du gouvernement, n’a pas manqué d’insister sur cet aspect des choses. Il est aussitôt contredit par un des gourous de l’ANC, Issam Chebbi, du Parti républicain (opposition), qui estime que Chedly Ayari ne l’a pas été sous Ben Ali. Il ne pourra donc pas l’être aujourd’hui. Un autre gourou de l’ANC, Khémaïes Kessila, dissident d’Ettakatol, le parti de Mustapha Ben Jaaffar, dira que Chedly Ayari sera «conciliant» avec l’exécutif tunisien.
Pour d’autres, opposés évidement au choix de Chedly Ayari, cette nomination va porter atteinte à la marche économique dans le pays dans la mesure où elle va détériorer l’image de la Tunisie dans les places financières. En rappelant la quasi mise en demeure de l’agence Moody’s. Empruntant pratiquement la même voie, d’autres ont estimé que la Troïka aurait pu éviter au pays pareil débat.
Le fauteuil du gouverneur lui a été proposé, il ne l’a pas cherché
Prenant à parti le président de l’ANC, Mustapha Ben Jaaffar, qui serait celui qui aurait proposé Chedly Ayari, un député a noté qu’il s’agirait d’un épisode politico-politique pour se partager le pouvoir au sein de la Troïka et montrer de quel bois chacun se chauffe. En clair: le président du gouvernement a expulsé Baghdadi Mahmoudi, le président de la République a limogé Mustapha Kamel Nabli, et le président de l’ANC a nommé Chedly Ayari.
Intervenant au début de la séance, le nouveau gouverneur Chedly Ayari a insisté sur le fait qu’il n’a pas cherché à occuper le fauteuil de gouverneur de la BCT. Mais qu’il lui a été proposé de l’occuper.
Il a souligné par ailleurs qu’il œuvrera à assurer l’indépendance de la BCT, mais assure également qu’il compte établir des ponts solides avec l’exécutif et l’ANC. Il a, en outre, promis de mettre cet appareil au service de l’économie et du développement. Il a critiqué au passage le rendement du système bancaire qu’il a promis de réformer.
Pour ce qui est de son programme d’action, il a semblé présenter des idées générales insistant sur le fait qu’il ne pourra mener d’action efficace avant d’avoir ouvert les dossiers et examiné les points forts et les points faibles.
Il n’a pas, enfin, raté l’occasion pour réfuter un à un les critiques qui lui ont été adressées avant la séance par les membres de l’Anc et par les médias tunisiens. Il n’a jamais signé un appel en faveur de la candidature de Ben Ali en 2014, il a signé un article de 3 pages dans un livre de 400 pages sur les réalisations de l’ère Ben Ali pour les comparer à celles des décennies précédentes, il a été nommé à la Chambre des Conseillers en remplacement de feu Jaafar Majed sur la liste des compétences au sein de cette institution…
Mohamed Farouk