Le livre du chroniqueur de France Inter et journaliste Bernard Guetta, L’an I des révolutions arabes (Ed. Belin) n’est pas un énième récit sur la révolution mais plutôt une analyse au jour le jour et à distance des bouleversemen5ts. Ce regard global reste encore d’actualité pour comprendre les enjeux autour des révolutions arabes.
Certaines chroniques ont été corrigées, modifiées après relecture montrant que même les meilleurs journalistes géopolitiques étaient pris de cours par les évènements et devaient analyser au gré de l’information. Comme le dit l’auteur dans l’une de ses chroniques, «à défaut de pouvoir fournir une explication globale et cohérente, on cherche des précédents historiques». L’auteur comparera ainsi souvent les révoltes arabes avec l’effondrement des régimes communistes.
Bernard Guetta a le mérite de prendre rarement position dans son livre, et d’aller à contre-courant de certaines idées reçues. Son regard géopolitique permet une prise de distance avec le phénomène révolutionnaire et une mise au point un an après. Pour Bernard Guetta, tout part de l’Iran où il a fait un voyage dans les années 90. «Cette plongée iranienne m’avait, en un mot, ancré dans l’idée que l’apparente immobilité de l’Islam était aussi trompeuse que l’avait été celle des pays communistes» écrit-il. S’il fait des parallèles entre la révolution tunisienne et la révolution iranienne, ce n’est que pour montrer comment dans les deux pays, la jeunesse s’est soulevée, avide de révolte. Mais la comparaison lui a aussi permis d’étudier l’évolution des partis islamistes dans les différents pays arabes. Le chroniqueur qui se déclare être «contre la théorie du choc des civilisations» car pour lui, il n’y aucune différence entre un arabe, un chrétien ou un juif, reste optimiste ; il estime que les révoltes arabes symbolisent aussi la fin de la «menace d’une guerre de religion dans le monde». L’intérêt de ces chroniques repose dans l’actualité des analyses encore valables aujourd’hui quand on regarde la Tunisie de l’intérieur.
«L’an I des révolutions arabes» commence ainsi sur les chroniques iraniennes où l’auteur revient sur les élections de 2009 qui avaient amené «la révolution verte» dans la République Islamique. Si les fraudes et la répression n’ont pas changé les résultats électoraux, la révolte avait marqué «une rupture entre pays légal et pays réel» selon l’auteur qui voit dans cette révolution une première anticipation des révoltes arabes. Tout comme la suite de ces chroniques qui portent sur la Turquie, montrant déjà en 2009, l’attrait pour le modèle politique turc. Dans son article de Libération du 30 octobre 2009, Bernard Guetta parle déjà de «l’espoir turc des pays arabes» et commence son article par une phrase provocatrice pour l’époque : «Le président tunisien n’est pas qu’un dictateur» Pour lui, la Tunisie comme d’autres pays musulmans fait déjà face à un dilemme : le manque d’alternatives politiques entre les mouvances islamiques et les régimes dictatoriaux en place. Si l’auteur parle déjà d’une élite active et militante, il se corrige 13 mois plus tard admettant avoir oublié la jeunesse connectée et en colère qui poussera le pays vers la révolte. Pourtant cet article écrit un mois avant la révolution semble prémonitoire et laisse à penser que les résultats d’Ennahdha aux élections n’étaient pas si surprenants. Pour Bernard Guetta, la force du printemps arabe, reste la surprise de la jeunesse et sa «force décisionnelle» qui doit murir afin de mettre en place le régime voulu de l’Iran à la Tunisie.
L’autre point intéressant développé par l’auteur porte sur la transition et l’héritage de la dictature dont la Tunisie peine à se défaire. Dans une chronique «Comment sortir d’une dictature ?», le débat entre «table-rase» ou «transition» est évoqué par l’auteur. Une impasse dans laquelle le pays semble toujours être actuellement : la justice en témoigne, entre procès expéditifs et dédommagements hâtifs, peu de verdicts ont réellement rendu justice à ceux qui ont fait la révolution. L’exemple le plus actuel est celui du procès des martyrs. L’actualité du mécontentement est quotidienne et la notion de «reddition des comptes» revient souvent dans la bouche des lésés du régime Ben Ali. Quant au processus de justice transitionnelle, il demeure vague et réduit à des réunions dans les hautes sphères du Ministère des droits de l’homme.
C’est aussi lui, qui dès le 26 octobre 201 décrit «l’impardonnable faute des laïcs tunisiens» aux élections montrant leur manque d’unité comme la cause de leur échec. Si l’auteur ne perçoit pas la victoire islamiste comme un danger contrairement à «l’occident qui adore se faire peur», il l’explique par la pluralité des mouvements islamistes : «il n’y a pas en un mot, un seul et même islamisme mais autant d’islamismes que de pays musulmans». Si cette idée est encore valable aujourd’hui, on peut reprocher à l’auteur de rester dans le cliché de «l’islam soluble dans la démocratie» sans donner plus de détails.
Au fur et à mesure du livre, différents pays entrent en scène, l’Egypte, la Libye, la Syrie et toujours l’Iran sur lequel l’auteur s’interroge quand certains descendent encore dans la rue pour soutenir les pays frères révoltés. Le regard de l’Iran sur les révoltes arabes montre la puissance des mouvements : entre «l’hystérie» du régime face à deux opposants qui manifestent pour la liberté tout comme le recours à la théorie du complot où les Etats-Unis seraient le manipulateurs des révoltes arabes, souligne une certaine «panique» comme dit l’auteur du régime iranien face à ces soulèvements populaires. Tout comme du côté chinois qui «a peur» d’une contagion dès avril 2011. Dans une autre chronique «le printemps arabe fracture le régime iranien», Bernard Guetta montre aussi comment la crise de l’Islam politique en Iran s’étend entre Ali Khomeini et Mahmoud Ahmadinejad, entre le pouvoir dictatorial et le pouvoir religieux. «Le printemps arabe a achevé de persuader l’équipe d’Ahmadinejad que la jeunesse iranienne, la majorité du pays, ne tolèrerait plus le régime des mollahs et qu’il fallait desserrer l’emprise du clergé sur le pays avant que tout n’explose» rajoute-il dans une autre chronique. L’auteur a le mérite de ne pas parler «d’effet domino» dans les pays, mais plutôt de «rythme des révolutions arabes». Il refuse certaines thèses comme celle de la peur des flux migratoires après les révolutions mais parlent plutôt de l’espoir d’une Eurafrique et de partenariats à développer avec les pays révolutionnaires au plus tôt. Mais surtout, il insiste aussi sur les autres mouvements révolutionnaires quelque peu oubliés aujourd’hui comme la révolte du Bahreïn, et les sursauts du Yémen. Pour lui, la division n’est pas seulement au sien de la société tunisienne entre laïcs et conservateurs mais aussi au sein des pays arabes. La seule unité repose sur le soutien commun aux insurgés syriens.
Que retenir alors de positif dans le printemps arabe au vu des résultats électoraux qui ont amené les islamistes au pouvoir en Egypte, au Maroc ? L’article de l’auteur dans le Libération daté du 2 février 2011 reste encore d’actualité. Deux des «quatre leçons du printemps arabe» sont à retenir : «le réveil de l’Islam vient rappeler à quel point les valeurs de la démocratie sont universelles», «une troisième force s’est constituée, celle de la «jeunesse démocrate qui a initié ces manifestations grâce à Internet». Autre analyse le possible, le «tsunami palestinien» évoqué dans une chronique le 13 avril 2011 que l’auteur envisage comme « plus qu’une possibilité».
Pourquoi l’auteur reste finalement optimiste tout au long du livre car comme il le montre dans la conclusion de son livre, le modèle d’un régime purement théocratique s’est épuisé en Iran et ne pas gagner les autres pays. Tout comme la mort de Ben Laden écarte temporairement une menace djihadiste. Si cette conclusion est intéressante, elle oublie une analyse poussée des mouvements salafistes et notamment de leur montée en Tunisie. A suivre peut-être dans les chroniques de l’An II.
Source : Tekiano