La Tunisie post-révolution fête à sa manière la journée internationale pour la liberté de la presse : jugé pour « atteinte au sacré » après la diffusion l’an dernier du film franco-iranien Persepolis, le directeur de la chaîne Nessma, Nabil Karoui, a été condamné ce jeudi par un tribunal tunisien au paiement d’une amende de 2 400 dinars (1 200 euros environ) « pour la diffusion au public d’un film troublant l’ordre public et portant atteinte aux bonnes mœurs », selon le jugement annoncé au tribunal de première instance de Tunis. La diffusion de ce film, à quinze jours des élections du 23 octobre 2011, avait paradoxalement favorisé la victoire d’Ennahdha, selon les analystes.
Très médiatisé, le cas Nessma cache une réalité bien plus inquiétante pour les Tunisiens : aujourd’hui, l’ensemble du système médiatique tunisien demeure sous la coupe de responsables et de journalistes en poste sous Ben Ali. C’est ce qui ressort des conclusions du rapport de l’Instance indépendante chargée de réformer l’information et la communication en Tunisie (Inric) rendu public lundi 30 avril. C’est aussi l’analyse de Riadh Ferjani, sociologue des médias, qui enseigne à l’université Manouba, à Tunis.
Riadh Ferjani, 18 mois après le début du processus révolution tunisien, quatre mois après l’arrivée au pouvoir du gouvernement Ennahdha, dans quel état se trouve le système d’information en Tunisie ?
On peut tout simplement dire que les craintes nées au lendemain de l’arrivée du gouvernement actuel se sont confirmées par des faits. Le premier acte, qui a surpris tout le monde, ce fut la nomination par Ennahdha (les membres du gouvernement des autres partis n’ont même pas été consultés) des six responsables des médias publics. C’était d’autant plus étonnant que l’on a placé des personnes qui ont fait leurs preuves sous l’ancien régime de Ben Ali, qui ont travaillé avec lui. Les propagandistes attitrés de Ben Ali étaient grillés, on a donc promu leurs adjoints. Dans ces conditions, prétendre faire du neuf avec du vieux… L’exemple typique, c’est l’actuel directeur du quotidien La Presse, Mongi Gharbi, qui animait un blog pendant la campagne électorale de 2009 en expliquant pourquoi il voterait Ben Ali. Mais il a également dirigé le journal du Rassemblement constitutionnel démocratique (RCD, aujourd’hui dissous – ndlr) de Ben Ali en langue française. Autre symbole : l’actuel PDG de l’agence nationale Tunis Afrique Presse (TAP) a été pendant plus de 10 ans le directeur de cabinet de l’ancien premier ministre, Mohammed Ghannouchi. Ce sont des secondes mains du régime de Ben Ali, et si l’intention était d’engager des réformes, c’est très mal parti.