Si l’on en croit les discours des uns et des autres, la fête du Travail, le 1er Mai sur l’Avenue Bourguiba, pourra être une occasion en or de réconcilier tous les Tunisiens entre eux. Sauf que, malheureusement, le spectre d’un débordement n’est pas à exclure.
Les nerfs à vif! C’est le sentiment que laissent pressentir les différentes composantes politiques, de la société civile et de l’opposition qui, toutes, entendent prendre part à ‘‘la fête de tous les Tunisiens’’, comme l’a exprimé le mouvement Ennahdha dans un communiqué rendu public avant-hier. C’est légitime, en fait. Une fête nationale ne saurait être l’apanage des uns ou des autres, mais le propre de la Tunisie entière.
Néanmoins, s’il faut distinguer des degrés dans cette légitimité, le plus haut revient indiscutablement à l’UGTT. C’est sa fête à elle et, partant, de tous les travailleurs tunisiens. Pour ce, la Centrale syndicale a mobilisé 500 membres chargés du bon déroulement de la fête, et prévu une grande exposition et des spectacles de rue. A cet égard, l’UGTT est, elle et seulement elle, l’organisatrice et le maître d’œuvre. Un membre de son bureau exécutif, Sami Tahri, a prévenu sans ambages: «C’est notre défilé: il aura pour point de départ la Place Med Ali à 10h 00 et se poursuivra ensuite sur l’Avenue Bourguiba. Nous avons l’autorisation de l’Etat, et celui qui se prépare à gâcher notre fête sera considéré comme un saboteur. Nous sommes une grande maison et recevons tout le monde, mais nous n’accepterons aucune instrumentalisation politique».
De fait, le ministère de l’Intérieur (qui a organisé l’Avenue en prévision du 1er Mai) confirme ladite autorisation sur, toutefois, le ton d’un avertissement: «Nous n’avons délivré que deux, et seulement deux, autorisations de défiler: à l’UGTT et à l’UTT, avec des horaires différents et des parcours distincts». Une manière très claire de dire qu’en dehors de ces deux organisations, il n’appartient à personne de s’approprier cette fête nationale ou tenter de mordre dessus. Mais il faut dire que le parti Ennahdha a tenu, à l’occasion, des propos conciliateurs: «Nous avons demandé à notre base de faire en sorte que les slogans et les affiches adhèrent aux valeurs du travail et de tout ce qui fait l’unité du peuple tunisien. Nous ne porterons aucun slogan partisan, cette fête est celle de tous les Tunisien». Amen !
Or, devant la ferme volonté des partis du pouvoir et de l’opposition d’être massivement présents, le risque d’éventuelles escarmouches entre toutes les parties de la ‘‘fête’’ n’est pas improbable, et, si c’est le cas, l’Avenue pourrait à nouveau être le théâtre d’affrontements dont, cette fois-ci, on ne peut deviner l’issue. Un membre du bureau exécutif du parti Al Joumhouri estime que «c’est au ministère de l’Intérieur de mettre un terme à cette violence verbale et physique qui a gagné en ampleur chez nous depuis un certain moment». Soit. Mais jusqu’à quelle limite on pourrait compter sur l’intervention des forces de l’ordre? (d’ailleurs, qui dit intervention des forces, dit, déjà, violence et sang –ce qui sera fort regrettable).
Sur la Toile Facebook, un persifleur donnait à voir, samedi dernier, une espèce de pancarte où on pouvait lire: «A la première violence, couchez-vous par terre» car «la police ne vous couvrira pas» alors que «les journaux se contenteront de montrer, le lendemain, des images pacifiques». Ô que non! On n’est plus, s’il faut le rappeler, sous le règne de Ben Ali où tout le monde, sous l’empire de la peur, ne pouvait que montrer un positif irréel et en trompe-l’œil. Que de cameramen, journalistes et techniciens ont été tabassés pour avoir tenté de faire leur travail dans les règles d’une information juste. Mais ce n’est pas notre propos.
Demain, donc, la Tunisie célèbrera la fête du Travail. Ce sera, comme l’ont espéré beaucoup, l’occasion de refaire l’unité nationale. Espérons, de notre côté, que toutes les parties appelées à être de la fête oublieront, au moins le temps d’une journée, leurs rivalités et leurs différends. La division et la haine ne serviront l’intérêt de personne. Tout au plus, elles serviront à briser les volontés du travail pour une Tunisie meilleure, ce Travail que nous voudrions fêter demain.
Par Mohamed Bouamoud
Article publié sur WMC