L’affrontement en cours au sein de Nidaa Tounes au sujet de la tenue ou nom d’un congrès constitutif avant les prochaines élections jette une lumière crue sur les profondes divisions et le télescopage politico-idéologique en son sein qui se sont singulièrement durcies au cours des dernières semaines. Certains le présentent comme une guerre entre Destouriens d’un côté, indépendants, syndicalistes et militants venus de la gauche de l’autre, ayant pour enjeu le contrôle du parti.
Ce décryptage plutôt superficiel, mais assez répandu, à l’intérieur et à l’extérieur de Nidaa Tounes, tend à accréditer l’idée que ce bras de fer constitue le problème numéro 1, donc le plus sérieux, de Nidaa Tounes, et qu’il suffirait pour le régler d’évacuer la «minorité» qui met des bâtons dans les roues de la «majorité». En faisant parler les urnes et, donc, tournant la page du consensus conformément auquel le parti a jusqu’ici fonctionné.
Même si certains destouriens s’opposent effectivement à certains représentants des autres familles politiques, on est loin d’être en présence d’une bataille rangée opposant tous les Destouriens de Nidaa Tounes à ses trois autres «affluents» (Rawafid).
Certes, il existe au sein de cette formation un clivage bien réel entre deux camps bien distincts. Mais le fait qu’on trouve au sein de ces deux blocs des représentants des quatre familles politiques prouve bien que la fracture n’a pas les causes et l’enjeu que certains lui prêtent.
En réalité, à travers le bras de fer pour le contrôle du parti, deux visions et stratégies absolument divergentes s’affrontent. Deux visions de la Tunisie, la politique, de la finalité de celle-ci, donc, de la mission Nidaa Tounes.
Un document interne –signé et adressé par une dizaine de dirigeants du parti à son président- dont Webamanagercenter a pu se procurer une copie (voir fac-similé) le prouve. Dans ce texte datant du 4 décembre 2013 –ce qui veut dire que les racines de la crise actuelle remontent au moins à l’année écoulée-, ses auteurs font plusieurs reproches –sans le nommer ni l’attaquer de front- à Béji Caïd Essebsi.
Ses auteurs –dont certains ont, depuis, rejoint le camp qu’ils critiquent dans ce texte- s’y présentent comme des «personnalités nationales attachées à la liberté et à la démocratie, qui ont la grande mission de prouver quotidiennement dans leur comportement sur le plan organisationnel et politique, qu’elles pratiquent la gestion démocratique et œuvrent à la construction d’un nouveau discours au sein du parti».
Le premier reproche adressé par les auteurs de la lettre au président du parti est de ne pas avoir su –ou voulu- «trouver les moyens et les mécanismes, d’un point de vue organisationnel et politique» permettant d’accueillir les nombreux Tunisiens qui y ont adhéré.
«Comité vide ton sac»
Le «minimum de fonctionnement démocratique» -illustré durant les premiers mois, par des «réunions au cours desquelles les idées et les décisions étaient discutées»- ayant, selon eux, été saboté, les signataires du texte constatent que «certaines personnes, ayant amené la culture de la médisance et de l’allégeance, à qui l’expérience, la compétence et le rayonnement font défaut, se vanter d’avoir dominé le parti» et claironnent que «celui qui refuse de se soumettre à quelqu’un tirant son pouvoir organisationnel, financier et politique du président du parti, doit être –et cela a été dit à plus d’un membre du comité exécutif et élargi- puni et exclu de la vie du parti et de la prise de décision».
En conséquence, et du fait de l’absence de réunions périodiques, le Comité exécutif a fini par être désigné par le sobriquet de «Comité vide ton sac». D’où des interrogations sur «le processus de prise de décision» qui, d’après les signataires de la lettre ne jette pas «les bases de la démocratie». Ce qui a des «retombées négatives et dommageables sur l’action du parti et sa réputation».
Cette absence «d’institutions, de transparence et de comportement démocratique dans la gestion de Nidaa Tounes» a eu un impact négatif sur le moral «de ses dirigeants, cadres et représentants dans les régions qui se plaignent en silence» et entraîné le tarissement du flux des Tunisiens voulant adhérer au parti.
Or, cette «démoralisation s’aggrave de jour en jour» d’autant que le «petit cercle entourant le président» manœuvre pour «se positionner en essayant, grâce au contrôle des finances du parti et de la proximité du président, de soudoyer les faveurs des coordinateurs régionaux et locaux pour les monter contre certains dirigeants».
Rappelant que le «reflux» du parti «démontré par les sondages» incite à «réfléchir profondément à la mise en place de cadres organisationnels démocratiques», à cesser «de recourir aux nominations» et à hâter la prise de certaines décisions «sans lesquelles Nidaa Tounes ne continuera pas à se développer» et ne pourra pas «se transformer en une force politique et sociale effective».
Crise de croissance salutaire ?
Pour certains, les soubresauts au sein de Nidaa Tounes sont la manifestation d’une crise de croissance salutaire. D’autres y voient les derniers spasmes annonciateurs d’une mort quasi certaine; en l’occurrence l’éclatement qui en réduirait, très notablement, le rayonnement et la crédibilité. Que le parti soit mis dans une configuration ou dans l’autre dépend en premier de son président, qui a droit de vie et de mort –politique. Qu’il s’attèle à forger à une Nidaa Tounes une nouvelle identité et une nouvelle culture résultant de la diversité qui le compose mais la transcendant pour donner à la Tunisie un parti résolument tourné vers l’avenir, porteur –et farouche défenseur- des valeurs de progrès, de démocratie, de justice sociale et luttant contre le cancer de notre pays, la corruption, et les Tunisiens lui en sauront gré pour l’éternité. Mais que le président de Nidaa Tounes fasse prévaloir son intérêt personnel –l’accession à la présidence- sur celui du pays –et les deux ne sont pas inconciliables-, en confiant les «clefs de la Maison» non pas aux Destouriens –parce qu’il y en a également et de fort respectables de l’autre côté de la barrière- mais aux Benalistes non-repentis de son parti et il n’en deviendra que petit aux yeux de ses concitoyens.
Moncef Mahroug