Tunisie : Dimassi et le dossier des indemnisations au menu de l’Assemblée

La démission du ministre des finances Houcine Dimassi et l’indemnisation des bénéficiaires de l’amnistie générale, deux dossiers saillants qui ont suscité, au cours de ces trois derniers jours, une vive polémique auprès des acteurs de la scène politique et de la société civile.

A cet égard, plusieurs constituants ont invité le Président de l’Assemblée Nationale Constituante Mustapha Ben Jaafar à convoquer, le plutôt possible, une séance plénière pour étudier les incidences de la démission de Houcine Dimassi et interroger le gouvernement sur les révélations du ministre démissionnaire concernant le dossier de la réparation des bénéficiaires de l’amnistie générale.

En marge de la séance plénière de l’Assemblée Nationale Constituante tenue, hier lundi, l’Agence TAP a recueilli les opinions de certains représentants de partis et courants politiques sur ces deux dossiers.

«La démission de Houcine Dimassi est le prolongement de crise constitutionnelle que connaît le pays depuis l’extradition de l’ancien premier ministre Mahmoudi Baghdadi», a estimé Samir Bettaieb (Voie démocratique et sociale). Au sujet du montant des indemnisations à verser aux bénéficiaires de l’amnistie générale révélé par Houcine Dimassi après sa démission, Bettaieb a proposé l’organisation d’une consultation nationale sur cette question, afin de dynamiser les mécanismes de justice transitionnelle et de réactiver la loi d’amnistie générale.

«Si le gouvernement examine seul cette question, la décision sera partisane essentiellement», a-t-il lancé. Pour Ahmed Khaskhoussi (Mouvement des démocrates socialistes), la démission de Dimassi «est un événement qui vient déstabiliser encore plus la situation générale dans le pays».

«Celui qui a milité ou défendu des principes au cours de deux dernières décennies ne doit pas s’attendre aujourd’hui à une rétribution ou à des remerciements», a-t-il indiqué, précisant que leur militantisme était volontaire et conscient et qu’on ne peut aujourd’hui demander en échange une contrepartie financière.

«Une reconnaissance morale est suffisante , a-t-il encore dit. Quant à Issam Chebbi (Parti Républicain), il a indiqué que la démission de Dimassi «aura un impact sur l’économie nationale notamment à la suite de la démission de Mustapha Kamel Nabli», ajoutant que «cette démission est porteuse d’un message qui stipule l’absence de la gouvernance requise au sein du gouvernement.

«Le pouvoir exécutif et la Troïka doivent aujourd’hui réviser leur mode de gouvernement et dresser un état des lieux de la situation réelle dans le pays», a-t-il poursuivi. «Ce qui est plus important que la démission d’un membre du gouvernement est les raisons de cette démission», a-t-il estimé, mettant l’accent sur la gravité des accusations portées par Dimassi contre certains membres du gouvernement qui, selon lui, «accordent des avantages à certaines catégories sociales à des fins électoraliste ».

Ali Houiji (Démissionnaire d’Al-Aridha populaire) a relevé que Dimassi «a devancé le gouvernement dans l’annonce de sa démission avant qu’il ne soit révoqué», estimant que «le montant des indemnisations aurait mieux servi pour remédier au chômage, impulser le processus de développement régional et régler les problèmes sociaux».

Taher Hmila (Congrès pour la République) a, pour sa part, minimisé l’importance des demandes d’indemnisation, faisant remarquer que «de telles revendications n’ont aucune légitimité révolutionnaire ou morale». «L’ensemble du peuple tunisien a subi des brimades sous les anciens régimes», a-t-il rappelé. «Ne doit-on pas dédommager tout le peuple tunisien ?», s’est-il interrogé.

De son côté, Abderaouf Ayadi (Mouvement WAFA) a estimé que «cette démission risque de déstabiliser l’action du gouvernement», plaidant, par ailleurs, en faveur du principe de la réparation des préjudices subis sous les anciens régimes.

Le Président de l’Assemblée Nationale Constituante, Mustapha Ben Jaafar s’est prononcé en faveur du droit des victimes de l’ancien régime à la réparation et à la réhabilitation, faisant remarquer que ce dossier ne peut être réglé que dans le cadre de l’amnistie générale. Certains cas urgents bénéficiant de l’amnistie générale peuvent être traités par des institutions spécialisées, comme le ministère des Affaires sociales ou le ministère de l’emploi, notamment pour les personnes qui ont été licenciées de leur travail.

Concernant les incidences financières du montant des indemnisations, Ben Jaafar a indiqué qu’il «est encore prématuré de parler du montant des compensations avant de déterminer le nombre des bénéficiaires de l’amnistie», mettant l’accent, à ce propos, sur l’impératif de préserver les ressources de l’Etat et de la communauté nationale.

Pour Amor Chetoui (Congrès pour la République), la démission de Houcine Dimassi est « dénuée de tout fondement. « Il aurait dû faire preuve d’un peu de patience, avant de franchir ce pas », a-t-il estimé. Au sujet du montant des indemnisations à verser aux bénéficiaires de l’amnistie générale, Chetoui a jugé anticipé de donner un chiffre précis, soulignant que les compensations seront payées dans la limite des moyens de l’Etat et étalées sur plusieurs années afin d’en atténuer l’impact sur les ressources financières de l’Etat. Quant à Sahbi Atig (Mouvement Ennahdha », il a constaté que Dimassi a leurré le peuple tunisien par ses déclarations. « Il aurait dû démissionner d’une autre manière », a-t-il relevé.

Evoquant le dossier de l’indemnisation des bénéficiaires de l’amnistie générale, Atig a affirmé qu’ils sont en droit de bénéficier de leurs droits, dans le cadre de la justice transitionnelle, comme c’est le cas dans toute révolution, faisant remarquer que « le mode de réparation demeure une procédure de routine qui peut être discutée et faire l’objet de consensus”.

Pour sa part, Habib Ellouz (Mouvement Ennahdha) a confié que Dimassi était toujours « irrité » et rejetait des décisions prises par la Troïka au profit des catégories défavorisées et des travailleurs, dont la baisse des prix, le maintien des prix des hydrocarbures et la majoration salariale. «Les indemnisations à verser aux bénéficiaires de l’amnistie générale sont un droit légitime», a d’autre part estimé Ellouz, expliquant que ces dédommagements vont être payés, principalement, aux victimes des injustices sous l’ancien régime notamment parmi les catégories vulnérables. L’élu d’Ennahdha a, d’autre part, annoncé que les dirigeants du Mouvement ont décidé «de renoncer à leur droit de dédommagement au bénéfice de la trésorerie générale de l’Etat».

De son côté, Mouldi Riahi (Ettakattol) a estimé que «la démission de Dimassi dans une démocratie naissante n’est pas le signe d’une crise, mais il s’agit bel et bien d’une preuve du climat démocratique favorable qui prévaut dans le pays». Il a, également, attiré l’attention sur le droit de Dimassi d’être informé à l’avance de la révocation du gouverneur de la Banque centrale de Tunisie, Mustapha Kamel Nabli, et de la candidature de Chedli Ayari à ce poste. En conclusion, il a estimé indispensable pour le gouvernement de « tirer les leçons des expériences vécues et d’approfondir la concertation pour empêcher pareils dérapages ».

WMC/TAP