«Melheker», la dernière émission lancée par le chroniqueur et blogueur Haythem El Mekki saura-t-elle déjouer les codes du politiquement correct ? Se basant sur un concept peu exploré en Tunisie, l’analyse politique mélangée à de l’humour, l’émission traitera de tout, y compris les sujet tabous. Interview.
Tekiano : Comment as-tu eu l’idée de lancer cette émission politico-satirique?
Haythem El Mekki : Cela faisait longtemps que je cherchais à appliquer ce modèle à la télévision. Je voulais m’inspirer un peu du chroniqueur français Yann Barthès dans le petit journal de Canal + mais aussi ajouter de l’analyse. Après j’ai découvert Bassem Youssef (présentateur satirique égyptien) et c’est de son format et de son émission Al Berrnameg, dont je me suis inspiré. Pour l’instant le format actuel oscille entre 25 et 53 minutes, deux fois par mois. Une fois que le concept sera bien développé, on ajoutera certainement des interviews et du reportage. Le but c’était aussi de pirater un peu le modèle médiatique habituel, en allant plus vers le téléspectateur. C’est pourquoi j’ai choisi de la diffuser d’abord sur Internet, les gens jugent directement, c’est une sorte de test. Ensuite, j’essaye de vendre le concept à une chaîne télévisée. Le plus important, c’est que personne n’intervienne au niveau du contenu.
Lancer une émission dans un climat médiatique un peu tendu n’était-il pas risqué selon toi ? Que penses-tu de la situation actuelle entre l’annonce de la dissolution de l’INRIC et les problèmes du secteur médiatique ?
Le problème est simple : Le climat médiatique n’a pas beaucoup changé depuis la révolution. La liberté d’expression n’est pas employée à bon escient. Avant, Ben Ali contrôlait tous les médias, maintenant, on ne sait plus qui contrôle quoi. Les médias sont des cibles et victimes de pressions, avec un manque général de cadre juridique. Et puis il y a le problème d’une bipolarisation, d’un côté on a les médias destouriens, de l’autre les médias d‘Ennahdha. Quant aux médias privés, le règne des patrons et des capitaux douteux fait rage. Pour moi, l’enjeu principal pour les médias repose sur la manière dont certains vont réussir à assurer leur indépendance dans le futur.
Tekiano : Le premier épisode de ta nouvelle émission a été lancé, quelles réactions?
Haythem El Mekki : Quelques défauts ont été pointés du doigt comme le fait que c’était un peu trop long et compliqué à comprendre pour quelqu’un qui ne suit pas de près l’actualité sur le net. Le premier épisode était un peu trop consacré à un public d’internautes. Le prochain sera dédié à la question du sacré dans la«Facebookratie».
Tekiano : Justement que penses-tu du jugement de 7 ans de prison ferme pour deux internautes qui ont caricaturé le prophète ?
Haythem El Mekki : Avec Ben Ali, on érigeait l’épouvantail islamiste, aujourd’hui on parle des mécréants alors que ce sont juste des manipulations politiques. Pour moi, avant de parler d’incrimination du sacré, il faut d’abord définir ce que c’est. Aujourd’hui, j’ai l’impression que le gouvernement utilise cette notion du sacré pour s’opposer à ceux qui critiquent son action et non pas ceux qui portent vraiment atteinte au sacré. Les islamistes cherchent surtout à discréditer ceux qui les tournent en dérision. Sept ans pour avoir publié des caricatures ? Que dire à part que la frontière entre la démocratie et un état fasciste reste fragile en Tunisie. Hier on débattait de la religion du Président de la République [débat au sein de l’assemblée nationale constituante, ndlr], de quoi sera fait demain ?
Propos recueillis par Lilia Blaise
Source: Tekiano
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