Quand un processus transitionnel politique et économique avance en reculant, c’est que quelque part il doit y avoir une anomalie.
Le constat de l’effritement des efforts et des forces politiques progressistes et patriotes est inquiétant. Comment gérer le socle des valeurs et instaurer la confiance dans les rapports sociaux sans se heurter à des forces antagonistes ?
Faire prévaloir l’intérêt général devait pourtant être la préoccupation majeure du processus politique d’une Tunisie historiquement avant-gardiste à tous les niveaux. Or la compréhension, l’interprétation et la vulgarisation des notions démocratiques sont manifestation dans une logique de l’incohérence, ce qui affecte le sens commun des valeurs.
La gestion de l’affaire publique chez nous s’apparente, depuis quelques années, de plus en plus à une machine déprogrammée ou même désamorcée, ce qui provoque un dysfonctionnement de l’Etat et un malaise général. Nous avons affaire à une gestion politique carrément défaillante. Ce qui suscite en nous des interrogations déterminantes et qui restent sans réponses.
Où sommes-nous des réformes de la justice ? De l’éducation ? De la santé ? Des politiques de la jeunesse et de l’économie ? Qu’en est-il de la lutte contre la corruption, le terrorisme, le grand banditisme et la violence?
La Tunisie court droit à sa perte et est aujourd’hui en perte de vitesse. Elle est appauvrie et meurtrie. Le pays sombre dans un sommeil cauchemardesque où s’entremêlent anarchie et populisme. Sommes-nous victimes de notre propre turpitude et notre incompétence ?
En l’absence d’une véritable vision, les institutions s’enlisent dans les mauvaises pratiques. Le quotidien dévoile au grand jour un héritage lourd de corruption et de dictature dissimulé par des discours sans envergure. La personnalisation du pouvoir et les directives émanant de forces politiques sur un pouvoir administratif devenu progressivement incohérent, incontrôlable et incontrôlé provoquent la colère des citoyens, entraînant des réactions en chaîne, allant de la frustration jusqu’aux doutes, en passant par la méfiance et la déception. La confiance se perd et le fossé entre gouvernants et gouvernés s’élargit.
La liberté d’expression débridée s’est transformée en un malaise d’expression car sans limites et sans éthique. L’absence d’une régulation allant dans le sens de la préservation de l’expression libre sans pour autant qu’elle ne déborde sur les droits des uns et des autres s’attaquant à leur vie privée et portant atteinte à leur dignité ne valorise pas le paysage médiatique et renvoie à une image tantôt médiocre tantôt violente. Les attaques portées gratuitement à l’encontre de certaines personne sont d’une agressivité et d’une virulence pouvant atteindre les seuils de l’insupportable. Face à cela, les campagnes menées à l’encontre des chroniqueurs d’Al Hiwar Attounssi et qui se distinguent par un niveau intellectuel assez élevé, donnent froid dans le dos ! Ce qui nous renvoie à l’ambiance des assassinats et lynchages politiques qu’a connu le pays durant les années 2013, 2014 et 2015.
Le respect des délais électoraux n’est pas garant de leur intégrité !
Les élections se déroulent, certes, dans le respect des dates fixées et des délais constitutionnels, mais le respect des délais électoraux n’est pas garant de leur intégrité et de leur transparence.
Une administration indépendante, rodée depuis 2011 à l’organisation des élections, ne devrait pas commettre autant de défaillances. La bonne gouvernance est loin d’être acquise pour notre grand malheur !
La justice malmenée, cherche désespérément à définir sa politique pénale en dehors de la mainmise de l’exécutif. Montesquieu, qui a inscrit le principe de séparation des pouvoirs, n’est plus à l’ordre du jour, et pourtant ce principe est combien cher à nos cœurs, nous autres juristes. L’indépendance de la magistrature reste notre éternel et ultime combat. La lutte contre toutes les impunités pour des procès équitables et une justice fiable et respectueuse des droits, des uns et des autres, relève d’une préoccupation omniprésente dans nos esprits et un souci quotidien dans l’exercice de notre mission en tant que juriste.
Les droits des femmes sont, entre temps, devenus le cheval de bataille de tous les politiques. Ce que nous aurions pu apprécier et encourager s’il n’y avait pas cette instrumentalisation et cette manipulation politique qui continuent, sous différentes formes, des femmes qui se débattent aujourd’hui pour préserver des acquis devenus menacés par l’arrivée de nouvelles idéologies dans notre pays. Les droits et libertés des femmes ne se limitent pas aux textes de lois. Une vision réductrice qui rappelle le caractère élitiste d’un discours alibi.
A ce propos, je souligne, sans réserve, l’importance d’une législation égalitaire, mais j’insiste également sur l’aspect pratique de mise en œuvre. C’est dans le travail sur l’inconscient historique de domination masculine que tout acte de sensibilisation doit être mené. Pour cela, l’aspect culturel s’impose comme une alternative évidente pour un projet de société égalitaire.
La loi sur la violence à l’égard des femmes et des enfants n’est pas appliquée
La loi organique n° 2017-58 du 11 août 2017, relative à l’élimination de la violence à l’égard des femmes, exige la mise en œuvre d’une politique culturelle et institutionnelle, sans cela cette loi sera vidée de son essence. L’enfance maltraitée et la justice des mineurs ne semblent pas être une priorité dans les réformes urgentes. L’école coranique pour enfants et le scandale qui a éclaté il y a quelques mois à Regueb est l’illustration édifiante d’un système judiciaire non conséquent. La résolution du problème démontre l’incapacité de nos autorités à protéger nos enfants de l’extrémisme et du terrorisme.
Le constat est désolant, nous avons affaire à un paysage politique désorienté qui frôle la schizophrénie sociale et politique.
Force est de constater que l’usure est une machine qui abîme toutes les bonnes volontés. Une citation chinoise dit : «Ne craignez pas d’être lent, craignez d’être à l’arrêt». L’essentiel est d’être dans le mouvement et de ne pas tomber dans la torpeur. Nous essayons de l’être, c’est ma seule consolation. Le discours d’investiture du président récemment élu m’a complètement indignée, car il est d’une haute portée populiste, même si son arabe littéraire a subjugué plus d’un. Je reste sur ma soif d’un discours structuré au contenu profond parlant de sécuritaire et diplomatique de haute volée et d’une dimension fédératrice que seul un président digne d’une Deuxième République peut assurer !
Oserais-je espérer ?
La morale de cette histoire est que rien n’est figé et rien n’est définitif. Le combat du progrès et de la citoyenneté continue.
Monia El Abed