L’instauration d’un cadre réglementaire et juridique adéquat qui préserve la dignité des créateurs dans le théâtre est en tête des revendications des dramaturges et académiciens tunisiens.
Ces recommandations sont issues du colloque “Le Théâtre Tunisien et la Décentralisation”, organisé les 9 et 10, dans le cadre de la 20ème édition des Journées Théâtrales de Carthage (JTC) qui se tient du 8 au 16 décembre 2018.
L’état des lieux des Centres des Arts scéniques et dramatiques dans les régions, a été au centre des débats de la journée finale. Les représentants de centres régionaux de Sfax, Kairouan, le Kef, Kebili et Mahdia ont déploré le “faible budget” alloué à ces institutions.
“L’absence d’une juridiction claire n’est plus la première contrainte qui se pose aux dramaturges, mais plutôt l’application de la décentralisation et la discrimination positive entre les régions, tel que stipule l’article n°14 de la Constitution tunisienne”, ont-ils estimé.
Les témoignages ont aussi porté sur la nécessité d’améliorer l’infrastructure de base et d’une plus grande autonomie des institutions et centres régionaux en charge de la culture, en mettant à leur disposition les moyens financiers et administratifs pour bien accomplir leurs missions.
A leurs avis, il serait important que le ministère de tutelle, celui des Affaires culturelles, “entame un dialogue sérieux avec les différents acteurs culturels dans le théâtre afin d’identifier leurs préoccupations et faire un véritable diagnostic de l’état actuel du théâtre”. Ils estiment qu’une telle démarche permettrait de “hâter les décisions en vue d’améliorer la situation des professionnels et encourager les jeunes diplômes à y investir”.
Certains intervenants ont mentionné la situation fragile de certains acteurs dans le théâtre, contraints à travailler dans d’autres secteurs. Sans oublier de mentionner la grande concentration des jeunes dans la capitale, ce qui expliquerait en partie le manque de professionnels dans le théâtre des régions de l’intérieur du pays. Une situation qui oblige, estime-t-on, le ministère de tutelle à mieux encourager les initiatives privées des promoteurs culturels en régions.
En l’absence de la volonté et la conscience politique nécessaires, les académiciens parlent d’espaces régionaux qui pratiquent plutôt “une forme de résistance culturelle”. Des générations se sont succédé et le calvaire des hommes de théâtre continue, ce qui expliquerait le manque de sérieux des décideurs dans le secteur culturel, souligne-t-on encore. “Une politique qui avait enlisé les professionnels dans des problèmes sociaux et financiers”, ont-ils encore regretté, dans un secteur, le théâtre, “demeuré le maillon faible dans toute la chaine de la création”.
“Le réseautage, entre centres régionaux et autres institutions publiques dont des ministères ainsi que les universités, serait à leurs avis, une alternative pour la réalisation de projets communs”. Pour certains, l’expérience de mise en place d’une unité de recherche et d’étude destinée à la publication et à la documentation, au sein du centre des arts scéniques et dramatiques à Kairouan, serait un exemple à suivre pour les reste des centres. Cependant, des expériences remarquables d’espaces créées par de jeunes entrepreneurs culturels dans les régions, tels qu’à Médenine, Beni Khedache et Kasserine ont été mentionnées.
Trois séances avaient été au menu de la journée inaugurale consacrée à la question d’une politique culturelle qui prône la centralisation théâtrale. Les débats ont surtout porté sur “le vide juridique dans le théâtre régional persiste depuis 1956”, année de la proclamation de l’indépendance tunisienne.
La première expérience nationale de décentralisation du théâtre de 1967 à 1968 demeure une référence pour les académiciens et dramaturges tunisiens qui s’interrogent sur l’engagement réel des autorités à appliquer et à ancrer le principe de décentralisation culturelle dans le pays.
Des lectures analytiques sur l’état des lieux dans les institutions théâtrales en Tunisie, font ressurgir des lacunes multiples. Le cas le plus patent est celui de la Troupe de la ville de Tunis dont le fonctionnement n’est régit par aucun cadre juridique, et même ses membres sont des fonctionnaires auprès de la municipalité de Tunis.
Encore plus, le Théâtre national tunisien (TNT) n’est parvenu à avoir son propre statut de base et son siège social, sis dans le bâtiment d’un ancien palais beylical du 19ème siècle, qu’en 1988 date à la quelle il a été placé sous la direction de Mohamed Driss. Le TNT, actuellement dirigé par le dramaturge Fadhel Jaibi, est une institution placée sous la tutelle du ministère des Affaires Culturelles et bénéficie d’une autonomie financière. Formation, production et distribution relèvent des prérogatives du TNT qui dispose de deux espaces, à savoir “Le palais du théâtre” et “Le 4ème Art”.
Revenant sur l’historique de l’intérêt politique au théâtre dans les régions, les professionnels du théâtre se rappellent le célèbre discours de l’ancien président Habib Bourguiba, en novembre 1967, qui avait prôné la création de troupes nationales de théâtre. Un appel qui n’a pas été concrétisé jusqu’à nos jours, ont-ils regretté.